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lui écrivit que les bureaux méritaient toute sa confiance, qu’ils avaient été en tous temps gardiens des plus grands intérêts du gouvernement et dépositaires de ses secrets les plus importans ; que le devoir d’un agent près d’une cour étrangère est de faire connaître à son gouvernement, sans restriction, sans réserve, tout ce qu’il voit, tout ce qu’il entend, tout ce qui parvient à sa connaissance ; que, placé pour voir et pour entendre, pourvu de tous les moyens d’être instruit, ce qu’il apprend n’est pas chose qui lui appartienne et qu’elle est la propriété de celui dont il est le mandataire : leçon cruelle que l’ambassadeur avait méritée. M. Thiers n’eût pas donné avec autant de goût que d’esprit la mesure de l’incapacité relative de M. de Beauharnais, que cette admonition seule la décèlerait. Eh quoi ! un homme initié ou censé l’être aux plus hautes affaires, un ambassadeur envoyé au poste le plus délicat et le plus important était parti avant d’avoir apprécié l’admirable organisation des bureaux avec lesquels il devait correspondre ; il ignorait quel profond sentiment du devoir a toujours régné, et comme par tradition, dans cette partie si honorable et si modestement laborieuse de la diplomatie française !

Si j’ai mentionné cet épisode, ce n’est nullement, on peut m’en croire, dans la pensée de louer ou de justifier les bureaux du ministère des affaires étrangères, qui n’ont, certes, besoin d’éloges ni de justifications, et qui ont bien le droit de se croire au-dessus de tous les blâmes et de tous les panégyriques ; j’ai voulu seulement montrer combien était grande la pénurie de documens sur l’affaire d’Espagne et quelle persévérance il a fallu à l’historien, puisque M. de Beauharnais lui-même se croyait obligé de voiler ses pensées vis-à-vis du ministère et en droit de se permettre des réticences.

En présence même de la correspondance de Napoléon, déposée au Louvre, de ses lettres à M. de Talleyrand, à ses agens à Madrid, Savary, Bessières, Lobau, M. de Tournon, M. de Grouchy, M. de Monthyon, l’historien demeure en doute sur les intentions de Napoléon, ce qui est tout simple, puisque ces intentions ne se formaient qu’en raison des événemens, qui s’accumulaient avec une rapidité inconcevable. En outre, chacun de ces agens n’était que partiellement informé. Il fallait donc reconstruire l’ensemble des pensées de Napoléon avec l’ensemble de ses ordres. M. Thiers l’a fait avec un rare bonheur.

M. Thiers ne conteste pas que Napoléon n’ait conçu de bonne heure l’idée systématique de renverser les Bourbons d’Espagne ; mais par quels moyens ? Le plus simple de ces moyens, il semble que c’était la guerre comme savait la faire Napoléon ; mais à qui la faire, cette guerre ? La fameuse proclamation que fit le prince de la Paix, la veille de la bataille d’Iéna, donnait un motif légitime d’attaquer l’Espagne ; mais Napoléon était alors occupé avec le Nord, et, quand ses embarras