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cessèrent de ce côté, le prince de la Paix et le roi d’Espagne étaient à ses pieds. Napoléon ne trouvait, parmi ceux qui régnaient ou qui gouvernaient en Espagne, personne qui eût du sang aux ongles, pour me servir de l’expression espagnole ; et bien que ses dernières victoires lui eussent laissé les mains libres du côté de la Prusse et de la Russie, il avait à compter avec une troisième puissance plus redoutable, l’opinion publique. Long-temps avant cette époque, l’empereur disait à Monge : « Nous avons été en Égypte ; en Orient, je pouvais traverser l’Inde, monté sur un éléphant, mon drapeau dans une main, mon épée dans l’autre : c’était faisable et magnifique, mais ici il faut que nous fassions tout à la pointe de nos mathématiques. » Or, frapper cruellement, anéantir un ennemi presque déclaré, mais à terre et vaincu d’avance, c’était un mauvais calcul qui pouvait donner des mécomptes en Europe. Il devenait nécessaire de chercher une autre voie.

Il résulte des appréciations de M. Thiers que Napoléon passa par les trois phases suivantes :

Donner une princesse française à Ferdinand en n’exigeant aucun sacrifice de la part de l’Espagne ;

Donner une princesse française, mais exiger les provinces de l’Èbre et l’ouverture des colonies espagnoles, que désirait tant le commerce français ;

Enfin, détrôner la dernière branche des Bourbons.

Le premier projet fut bientôt abandonné. Il est clair que ce n’est pas en vue d’un si mince résultat que Napoléon se décida à donner à la Russie la Finlande et à prêter l’oreille au projet du partage de l’empire turc, projet tout en faveur de la puissance russe. Le second plan, plus rationnel parce qu’il offrait des avantages à la France, tandis que le premier n’en offrait aucun, succomba devant la rapidité des événemens, qui abaissèrent les Bourbons d’Espagne au point qu’il devenait impossible de contracter avec l’un d’eux une alliance de famille. Le troisième plan restait, il fut adopté.

Napoléon exposa long-temps ses motifs avant que de s’arrêter définitivement à cette détermination extrême, la plus conforme à son caractère et à ses idées comme fondateur d’une dynastie. Que disait sans cesse Napoléon, hésitant et arrêté au seuil de ces grandes résolutions où il entrevoyait prophétiquement les désastres qui s’ensuivirent ? « Mes institutions, ma dynastie, dépendent de l’état où je laisserai l’Europe. Les Bourbons de Naples et d’Espagne sont les ennemis naturels de ma couronne. Aujourd’hui, c’en est fait des Bourbons de Naples, et les Bourbons d’Espagne sont, par leur nullité, incapables de me nuire ; mais ils sont, par cette nullité, à la merci de mes ennemis. » Il disait encore, avec le laisser-aller qui lui était bien permis en se jugeant lui-même : « Aujourd’hui, l’homme de génie est à Paris, le sot est à Madrid