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du talent et du génie poétique de Goethe. Quelle étendue, quelle fécondité, quelle profondeur, quelle variété d’idées, d’aperçus philosophiques, littéraires, politiques ! Quelle richesse d’invention poétique dans ses tragédies, ses poèmes et ses poésies fugitives sur tous les sujets ! Quelle sécheresse, quelle stérilité d’imagination chez moi à côté de cette prodigieuse abondance ! »

Le jour où vous avez fait cet humble aveu, ô poète, vous l’étiez plus par le cœur, par le sentiment, par l’idéal que vous conceviez dans toute sa plénitude, par les larmes d’admiration que vous versiez, — vous l’étiez plus, poète, que dans ces heures où l’on s’enivre trop aisément de soi-même, et vous méritiez d’être reçu à votre rang dans le groupe sacré par ces maîtres sublimes que vous saviez si bien saluer et reconnaître.

Le Spectateur du Nord contient, indépendamment des odes et morceaux en vers, quelques articles en prose de Chênedollé : un Essai sur les traductions, sur la manière de traduire les poètes, avec application du système à trois ou quatre odes d’Horace traduites en prose[1] (juillet 1797) ; une analyse et un jugement du poème des Plantes de Castel, qui venait de paraître (juin 1797). Castel était de Vire comme Chênedollé, et plus âgé que lui d’une dizaine d’années. Homme honorable en politique, il traversa la révolution avec courage. Maire de sa ville natale durant les années difficiles, il la préserva de toute commotion violente. Député à l’Assemblée législative, il sut résister aux excès des factions. Après la restauration des études, il professa les belles-lettres au collége de Louis-le-Grand. Mais il était poète, et ne fut qu’à demi satisfait des éloges mitigés de son compatriote : « Castel, écrit Chênedollé dans une note manuscrite, Castel se met, je crois, au-dessus de Fontanes et de Delille ; il se regarde comme le premier poète du jour, et Saint-Ange comme le second. Il est persuadé que Delille n’ira pas à la postérité. C’est une chose bien étonnante que l’amour-propre. C’est d’ailleurs un homme plein de mérite et lui poète du talent le plus aimable ; mais, parce qu’on est Paul Potter, il ne faut pas se croire Raphaël. » — Castel n’est pas un Paul Potter, parce que, même dans ces

  1. Rien de plus judicieux ni de mieux entendu que ce système de Chênedollé : « Ce qui caractérise particulièrement Horace, dit-il, c’est la précision du style et l’audace des images, deux qualités qui sont l’ame de la poésie lyrique… C’est donc à rendre ces deux caractères distinctifs que je me suis principalement attaché. Pour y parvenir, je n’ai le plus souvent fait que rendre image pour image, et me jeter dans les moules que m’offrait le poète romain, afin d’y modeler mon expression sur la sienne. J’ai cru que, pour ne point défigurer Horace, il fallait surtout ne jamais délayer ses pensées ; qu’il fallait être toujours fidèle à la forme de ses images, du moins autant que le permettait le génie de notre langue ; et quand celle-ci résistait à l’expression latine (ce qui m’est arrivé beaucoup plus rarement qu’on ne pourrait croire), j’ai cherché avec soin l’image correspondante. » Et il choisit les trois odes : Sic te Diva potens, etc. ; Pastor cum traheret, etc., et Qualem ministrum fulminis, etc., qu’il traduit en prose, selon moi, très heureusement.