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passer du concours du temps ; elle a prétendu imposer une théorie à des faits qui la repoussent ; elle a décrété que l’idéal, en dépit de toutes les lois de l’histoire, au mépris de l’expérience et du bon sens, deviendrait immédiatement le réel. Enfin, infatuée de cette fausse métaphysique, éblouie par les systèmes de ses théoriciens enthousiastes, elle a armé contre elle-même des forces qu’elle devait appeler à son aide. Qu’est-il arrivé ? — Le contraire exactement de ce qu’elle se promettait avec une si orgueilleuse confiance. L’Allemagne est plus divisée que jamais, et, soutenu par la Russie, l’absolutisme rallie tous ses soldats, L’ancienne unité a disparu, et la liberté est en péril.

Le jour où le parlement de Francfort se réunissait, il y a un an déjà, l’espérance était encore permise. Sans doute, quand on voyait sur les bancs de l’église Saint-Paul les plus fougueux politiques d’université, les plus obstinés constructeurs de systèmes, l’exaltation de ces docteurs devait inspirer des craintes ; cependant, je le répète, il y avait place pour l’espoir, et bien des intelligences droites comptèrent sur les résultats heureux de cette grande convention nationale. L’urgence du péril, pensait-on, donnera aux théoriciens de l’unité le sentiment des choses pratiques. Il sera difficile aux utopistes de continuer leurs édifices imaginaires, tandis que le pays est en feu et que la démagogie fait irruption de tous côtés. Il ne s’agit plus ici de métaphysique hégélienne ou de constructions historiques ; la tribune de Francfort n’est pas la chaire du professeur à Bonn ou à Berlin ; au lieu d’une centaine d’étudians, c’est l’Allemagne entière qui écoute, l’Allemagne bouleversée, déchaînée, une Allemagne toute nouvelle où la révolution triomphante a vaincu M. de Metternich, a humilié Frédéric-Guillaume IV, a pénétré de vive force dans la diète, et n’a laissé debout qu’un seul pouvoir respecté, l’assemblée de l’église Saint-Paul. En présence d’une telle situation, aux prises avec des dangers si pressans, les faux systèmes, disions-nous, seront bientôt évanouis, et les esprits éminens qui s’enthousiasment d’une chimère ouvriront les yeux à la vérité. Les premiers actes du parlement de Francfort confirmaient ces espérances ; pendant plusieurs mois, le parlement a été investi d’une grande force morale et l’a employée au service de l’ordre et du progrès. Bientôt cependant les folles prétentions ont reparu ; en voulant imposer du premier coup l’unité qui répugnait aux mœurs et aux intérêts des populations diverses, on a été conduit à diviser l’Allemagne plus profondément que jamais. Une fois ce premier sacrifice consommé, les théoriciens ne s’arrêtèrent plus ; ils avaient retranché l’Autriche comme un membre rebelle, afin de mieux assurer la fantastique unité qu’ils poursuivent ; lorsqu’ils eurent besoin de l’appui des démagogues pour donner la couronne impériale au roi de Prusse, ils subirent les conditions du radicalisme. Voilà où les a menés l’infatuation d’une théorie !