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tion, une révolution qui ne date pas du 24 février, sachons-le bien, mais qui datera peut-être des élections de 1849.

La révolution du 24 février a à peine duré un an, et encore, pendant cette année, elle s’est presque toujours trouvée en face de son terrible remplaçant, le socialisme. Elle lui a tout-à-fait cédé la place dans les élections de 1849. Voilà quel est d’un côté le sens de ces élections. Elles ont déblayé le champ de bataille de toutes les fictions politiques nées du 24 février ; elles ont mis face à face les deux grands partis de l’ordre et du désordre social.

L’homme qui aujourd’hui doit avoir le mieux le secret de cette situation, c’est M. Ledru-Rollin. Il doit la sentir comme on sent le danger. Il est maintenant dans l’opposition le dernier des montagnards, le dernier de ceux qui se soucient des questions politiques ; les autres ne se soucient plus que des questions sociales, c’est-à-dire de la satisfaction des grossiers appétits qu’ils ont excités. Il est, par son talent et par son goût du commandement, le chef de l’opposition ; mais dans le combat il a changé d’armée et de drapeau. Aussi le voilà vraiment devenu chef de parti, c’est-à-dire l’esclave de ceux qu’il conduit et la première victime qu’immolera la victoire.

De même que le parti modéré s’est cru vaincu parce qu’il n’a pas remporté la victoire qu’il espérait, le parti socialiste s’est cru vainqueur parce qu’il n’a pas essuyé la défaite qu’il attendait ; et, de même aussi que le parti modéré n’a pas su retenir le cri de ses désappointemens, le parti socialiste n’a pas su non plus retenir ses chants de triomphe. Il s’est cru le maître, et il a dicté ses conditions :

1° l’amnistie générale. — Qu’en pense M. Ledru-Rollin ? Les prisons lui rendraient ses rivaux du 16 avril et du 15 mai 1848, des rivaux qu’il vaincrait à la tribune, mais qui l’attaqueraient dans les clubs.

2° Une politique révolutionnaire ; et, par exemple, nos soldats prendraient à Rome le drapeau de M. Mazzini. Nous craignons bien qu’un peu de cet article de la capitulation offerte par M. Proudhon n’ait passé dans la transaction qu’avait imaginée M. de Lesseps. Heureusement la fierté de M. Mazzini nous a sauvés de la clémence de M. Proudhon.

3° L’annulation des élections partout où elles auront été influencées par les dépêches de M. Léon Faucher ou par tout autre moyen, c’est-à-dire partout où des représentans du socialisme n’ont pas été élus.

4° Défense, sous peines sévères, d’appeler le socialisme autrement que l’opposition constitutionnelle. L’abolition de la propriété, de la famille, de la religion, de Dieu, questions de politique constitutionnelle en effet ! Il est vrai que, quelques jours après, le socialisme, renonçant à se faire appeler du nom d’opposition constitutionnelle, se définissait, avec cette sagacité dialectique qui est un des talens de M. Proudhon, non plus comme une doctrine précise ayant son programme et sa règle, mais comme un assemblage d’idées vagues et confuses. « Il y a, disait M. Proudhon, dans la tête de ce géant aux millions de bras du saint-simonisme, du fouriérisme, du babouvisme, de la dictature, de la triade, de la réglementation gouvernementale, voire même de l’économisme anglican et malthusien, toutes les utopies spéculatives du socialisme, toutes les utopies rétrospectives du capital et du privilège. Le socialisme en ce moment est tout à la fois l’hydre et le sphinx pour lequel il faudrait un Œdipe et un Hercule. » Il