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est impossible de mieux dire, et nous voyons une fois de plus que, pour une bonne définition, M. Proudhon est prêt à perdre vingt amis. Mais, le socialisme étant une fois défini de la sorte, essayez donc, je vous en prie, de satisfaire cette opposition constitutionnelle, qui est à la fois le sphinx et l’hydre !

La dialectique de M. Proudhon rend ainsi de temps en temps quelques bons services à la raison ; mais il ne faut pas croire que, pour être indéfinissable et insatiable, le socialisme en soit moins dangereux. C’est un monstre qui n’a pas le sens commun ; j’en veux bien croire son cornac. Qu’a-t-il besoin d’ailleurs d’avoir le sens commun ? C’est la tour de Babel que le socialisme : soit ! mais c’est la tour de Babel ayant pour garnison les sept péchés capitaux. C’est là ce qui fait sa force. On chante aux soldats :

Un sou par jour, troupier socialiste,
N’est pas assez pour tous tes agrémens.
Pendant sept ans, ton sort devient trop triste ;
Comme à Boichot, il te faut vingt-cinq francs !

Plates et sottes chansons assurément, et dont nous aurions grande envie de rire en d’autres temps ; mais de nos jours

Un sot trouve toujours un plus sot qui l’égare.

On est étonné quand on lit les publications soit en vers, soit en prose, de la tour de Babel où se sont cantonnés nos ennemis, on est étonné de voir combien la niaiserie est pernicieuse et méchante. Il n’y a pas un bon sentiment qui ne soit sottement perverti, pas une tradition qui ne soit bêtement défigurée, pas une renommée qui ne soit absurdement calomniée. Et, puisque nous sommes en train de citer des vers, ne lisions-nous pas dernièrement dans une mnémonique de l’histoire de France, ces vers sur le roi Louis-Philippe :

Il tombe enfin sur les victimes
Qu’à ses pieds entassent ses crimes !

Il n’est tombé que sur les amnistiés de sa clémence. Comment, dira-t-on, se trouve-t-il des gens pour écrire ces platitudes calomnieuses ? Hélas ! c’est qu’il se trouve des gens pour les croire. On peut sonder l’abîme de la perversité humaine, et on peut même en trouver le fond ; mais on ne pourra jamais trouver le fond de la niaiserie humaine.

Contre cette marée montante de la sottise et de la méchanceté, quelles digues avons-nous ? Nous avons, pour nous défendre, toutes les armes qu’on peut avoir. Il s’agit seulement de savoir s’en servir. Nous avons le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, et ces deux pouvoirs représentés par une assemblée nouvelle et un ministère nouveau. Qu’ont à faire ces deux pouvoirs au dedans pour maintenir l’ordre et le repos, au dehors pour défendre la paix de l’Europe et l’honneur de la France ?

Au moment où nous écrivons ces lignes, l’assemblée législative n’a encore siégé que trois fois, et ce serait bien se presser que d’en indiquer dès aujourd’hui l’esprit et le caractère. Si les élections avaient tout-à-fait répondu aux vœux du parti modéré, on aurait demandé à l’assemblée de régénérer le pays, de mettre le bien où était le mal, la stabilité et la durée où est l’instabilité et le