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leurs talens, plus encore que leurs fonctions, ont donné charge d’ames. Et cependant pourrait-on affirmer que l’enseignement réponde aujourd’hui aux vastes nécessités de sa mission morale ? L’enseignement philosophique surtout manque à la jeunesse inquiète de notre fiévreuse époque. Peut-être y a-t-il plus qu’on ne suppose de cœurs ouverts pour recevoir les vérités substantielles et fortes que l’on venait, vers la fin de la restauration ou au lendemain de 1830, chercher au pied des chaires de la Sorbonne et du Collège de France. Peut-être y aurait-il moins d’indifférence, que l’on n’imagine pour les hommes qui, dans ces chaires redevenues vivantes, oseraient parler de devoir et de destinée humaine avec l’autorité de la science. Pourquoi donc ce spectacle consolant nous est-il refusé ? Ce ne sont point les hommes qui manquent. Non, et Dieu merci, les mêmes professeurs qui étaient en 1830 entourés d’une si grande et si légitime popularité sont encore parmi nous. Pour ne citer que celui dont les leçons nous paraîtraient le plus nécessaires comme remède à l’anarchie intellectuelle d’à-présent, nous nommerons M. Cousin. Parmi les hommes de cette laborieuse et vive génération qui arriva à la suite de nos grandes guerres européennes, M. Cousin est aussi l’un des esprits les plus jeunes et les plus capables de retrouver, en face des sophismes contemporains, l’ardeur avec laquelle il combattait naguère contre d’autres erreurs. Une merveilleuse vivacité se rencontre unie en lui à l’étendue de l’intelligence, et il possède, avec les dons précieux de l’écrivain éminent, le charme et la puissance d’une parole éloquente. C’est à M. Cousin qu’il appartiendrait plus qu’à personne de poser sous leur nouvel aspect les questions philosophiques sur lesquelles la société sent par instinct le besoin d’être promptement et grandement éclairée.

Une semblable résolution ne nous plairait pas seulement parce qu’elle serait hardie et généreuse, mais parce qu’elle servirait encore d’encouragement à ces mêmes professeurs qui partagèrent autrefois avec M. Cousin les faveurs de l’opinion, et que les affaires ont détournés de leur but scientifique. Oui, il y a parmi les hommes qui comptent encore comme titulaires à la Sorbonne des noms naguère applaudis, que nous aimerions à retrouver aux premiers rangs de l’enseignement. N’est-ce pas d’eux, en effet, que l’on pourrait dire : Leur silence est une calamité publique ? C’est une calamité d’autant plus déplorable que le don d’attirer et de passionner la jeunesse semble être depuis quelques années le privilège des esprits faux et des intelligences apocalyptiques. On ne peut constater qu’un petit nombre d’exceptions brillantes, de voix courageuses, qui ont continué de se faire entendre au milieu du tumulte de nos passions politiques. Nous aurons plus d’une fois l’occasion de revenir sur ce sujet. Nous n’avons voulu aujourd’hui qu’indiquer, parmi tant de questions d’où dépend la discipline de l’esprit public, celle qui parait à la fois les comprendre et les dominer toutes.



V. de Mars.