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avec empressement les nouveaux protecteurs qui leur arrivaient du fond de l’Occident. Malgré l’éloignement et la difficulté des communications, Louis XIV ne cessa d’entretenir avec la Transylvanie des relations de tout genre. Il y envoyait, par la Turquie, par Venise, par la Pologne surtout, avec laquelle les correspondances étaient plus faciles, des agens, des officiers, des ambassadeurs publics ; c’était par Dantzick qu’on dirigeait les secours d’hommes et d’argent ; de là, on arrivait à Varsovie ; enfin, à travers les défilés et les précipices qui séparent la Transylvanie de la haute Hongrie et de la Pologne, on pénétrait dans ce lointain pays.

Pendant plus d’un demi-siècle que continuèrent ces relations, la Transylvanie s’habitua à regarder la France comme une protectrice naturelle, à recevoir ses directions et ses secours ; et quand la fortune contraignit Louis XIV à la paix, quand la Transylvanie, après la longue lutte qu’elle soutint avec la Hongrie contre l’empire, se rangea sous la domination autrichienne, la France servit d’asile aux proscrits et leur prodigua les bienfaits de son hospitalité. On voit à chaque instant, dans les mémoires de cette époque, les noms des seigneurs hongrois et transylvains mêlés aux récits du jour, aux descriptions des fêtes de Paris ou de Versailles ; le roi engageait toujours quelques-uns de ces étrangers à Marly ; les princes les invitaient à leurs chasses ; le grand Condé les régalait à Chantilly et se faisait raconter par eux la manière de combattre des Turcs. La mode avait pris sous son patronage la bravoure et les malheurs de ces nobles rebelles : on portait des bottes à la transylvaine, et le malheureux comte Zriny, décapité à Neustadt, donnait son nom à des vestes brodées dont on nous vante le bon goût et la richesse[1].

La paix générale qui suivit la guerre de la succession d’Espagne, et plus tard un nouveau système politique, l’alliance de la France avec l’Autriche sous Marie-Thérèse (1756), changèrent profondément ces rapports. La solidarité qui existait depuis François Ier entre l’orient et l’occident de l’Europe fut rompue ; elle avait perdu quelque chose de son équité le jour où l’Espagne était entrée dans la famille de nos rois et dans le système français. Quand la politique autrichienne pouvait avoir une armée sur les Pyrénées, il était assez naturel que les Français eussent des auxiliaires au pied des monts Karpathes. Des deux côtés, on renonçait à s’attaquer par derrière ; la Transylvanie cessa dès ce moment de jouer un rôle particulier dans les mouvemens de l’Europe. Réduite à n’être qu’une province de l’empire, elle retomba peu à peu dans l’isolement et l’obscurité. Les noms lointains et fameux de

  1. « Le comte de Guiche et M. de La Vallière (frère de la duchesse) vouloient prendre un habit dont la parure eût également de la magnificence et de l’invention. Du chapeau jusqu’à la veste, la bizarrerie espagnole avoit tout réglé. Le conte de Serin régnoit à la veste avec toutes sortes de broderies. » (Lettres de Saint-Évremont, t. IV.)