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Transylvanie est un peu plus grande que la Suisse, sa population est à peu près la même ; mais là s’arrêtent les ressemblances : la politique leur a fait des destinées différentes. La Suisse, grace à la neutralité que la sagesse des grandes puissances lui avait garantie, a conservé son indépendance ; la Transylvanie, au contraire, livrée, dès l’origine, à l’ambition de tous ses voisins, ne s’est reposée d’une liberté pleine de périls qu’en abdiquant son indépendance pour devenir une province autrichienne.


I

Il y a environ cent soixante ans qu’un seigneur transylvain, réfugié à la cour de Louis XIV, se plaignait du peu d’attention qu’on accordait en France aux affaires de son pays. « On aurait eu bien de la peine il y a dix ans, disait-il[1], à fournir quatre personnes qui eussent quelque connaissance de la Transylvanie. Bien des gens, à mon arrivée, semblaient ignorer jusqu’à son nom. On ne le prononçait pas sans un peu d’étonnement, comme si c’eût été le nom de quelque province découverte depuis peu au Nouveau-Monde ; mais, ajoute l’émigré transylvain pensionné à la cour de Versailles, comme il n’y a point de nation si barbare et si éloignée que le soleil ne daigne éclairer, on ne doit pas s’étonner si les bienfaits du roi Louis-le-Grand, qui en prenait sa devise, nous ont enfin tirés de notre obscurité. »

À cette époque, en effet, à la fin du XVIIe siècle, la politique française cherchait à susciter de toutes parts des ennemis à la maison d’Autriche. Non content des champs de bataille qui lui étaient ouverts en Flandre, en Allemagne, en Italie, Louis XIV n’épargnait aucun sacrifice pour susciter sur les derrières des armées impériales, au sein même de l’empire, de puissantes diversions. Il donnait la main aux mécontens de Hongrie, et, à défaut des Turcs, qui, depuis la levée du siège de Vienne (1683), perdaient constamment du terrain, il soulevait les populations encore à demi barbares campées à l’extrême frontière de l’Europe entre la chrétienté et le mahométisme. Tour à tour attachées aux rois de Hongrie ou aux sultans, ces races belliqueuses changeaient sans cesse d’intérêts et d’alliances ; elles semblaient vouées par leur caractère, autant que par la situation du pays, au rôle que l’ambition assignait, dans l’ouest de l’Europe, à la Sardaigne, entre la maison d’Autriche et la maison de France. Après avoir chassé les Turcs avec les secours de l’empereur, elles rappelaient bientôt les pachas voisins pour se garantir des vexations des troupes impériales. Au moment où l’action de la Turquie, désormais énervée et impuissante, ne devait plus suffire à tenir la balance, les Transylvains accueillirent

  1. Mémoires du comte Bethlem Niklos.