Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/988

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Soyez sûr que personne au monde ne s’intéressera jamais plus vivement et plus constamment que moi à tout ce qui pourra intéresser votre bonheur.

« Je n’ai reçu cet été, et à mon grand regret en ce temps-là, qu’une seule de vos lettres. Ce fatal voyage de Rome[1] et le désir d’y mettre obstacle absorboient toutes mes pensées et occupoient toutes mes forces, au moment où il auroit fallu vous répondre. Tous les courriers qui vinrent de ce pays-là à compter de ce moment m’apportèrent d’autres soucis, d’autres occupations. Vous savez les événemens, et sans doute vous m’excusez. Les craintes ne m’avoient pas moins accablé que le malheur.

« Je ne vous dirai rien de ma douleur. Elle n’est point extravagante, mais elle sera éternelle. Quelle place cette femme aimable occupoit pour moi dans le monde ! Chateaubriand la regrette sûrement autant que moi, mais elle lui manquera moins ou moins long-temps. Je n’avois pas eu depuis neuf ans une pensée où elle ne se trouvât d’une manière ou d’autre en perspective. Ce pli ne s’effacera point, et je n’aurai pas une idée à laquelle son souvenir et l’affliction de son absence ne soient mêlés.

« Vous aurez la relation de ses derniers momens aussitôt que vous aurez indiqué à mon frère un moyen peu coûteux pour vous de vous la faire parvenir. Rien au monde n’est plus propre à faire couler des larmes que ce récit ; cependant il est consolant. On adore ce bon garçon[2] en le lisant ; et, quant à elle, on sent, pour peu qu’on l’ait connue, qu’elle eût donné dix ans de vie pour mourir si paisiblement et pour être ainsi regrettée. Je serois désolé aujourd’hui qu’elle n’eût pas fait ce voyage, qui m’a causé tant de tourmens.

« La position de notre ami m’a causé aussi bien des peines pendant long-temps. Calomnié de toutes parts, il a eu un temps de disgrace presque effrayant ; mais il n’en a rien su que tard, et il ignore même en ce moment ce mal passé. Vous avez su qu’il est rentré presque en faveur, puisqu’on en fait un presque ambassadeur. Nous allons bientôt le revoir, car il n’ira point à son poste sans avoir pris des instructions qui le retiendront peut-être à Paris plus long-temps que nous ne pensons. Je l’attends dans le cours du mois.

« Je suis obligé d’effacer des détails de sa position qui viennent au bout de ma plume, mais qui seroient infinis et inutiles, puisqu’il vous les dira bientôt. Je me bornerai à vous apprendre qu’un voyageur est venu me donner avant-hier de ses nouvelles, et que, par la tournure des esprits et des événemens, son amitié pour Mme de Beaumont a été aussi honorable à l’un qu’à l’autre. Il quittera Rome ami du cardinal[3] et estimé de tout le monde. C’est un bien bon temps pour partir.

« Votre affaire Michaud m’a causé en son temps quelque chagrin. Fontanes prétendit qu’elle ne s’étoit manquée que par malentendu, et parce que la maladie d’une de mesdemoiselles vos sœurs ne vous avoit pas permis de partir à temps[4]. Je suis bien aise que vous n’y ayez pas eu de regret, mais très fâché

  1. Le voyage de Mme de Beaumont.
  2. Chateaubriand. On aime ces familiarités qui font retrouver l’homme.
  3. Le cardinal Fesch.
  4. Ces notes, en effet, pour lesquelles il y avait eu tant de négociations, ne vinrent pas. Chênedollé a fait trop souvent, en d’autres circonstances, comme pour ces notes que demandait Michaud. Il manquait l’affaire à peu de chose près. Il arrivait de Vire un peu trop tard. Mais nous qui sommes entrés dans le secret de ses peines à ce moment, nous savons que penser de ces apparentes négligences.