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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/997

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glacer tout le genre humain. Il me prend fantaisie de vous écorcher les oreilles à ce propos et de vous dire, en retournant un ancien vers de l’ancienne Mme de Staël :

Si l’on ne s’aide point, personne ne nous aide[1].

Vous ne vous aidez point du tout, et au contraire. Ayez enfin pitié de vous.

« Venez un peu que je vous gronde. Venez savoir comment va le monde ; venez annoncer aux prétendans afin qu’ils s’écartent, et aux électeurs afin qu’ils y pensent, que vous voulez être de l’Institut.

« Il faut y songer à cet Institut. Ses portes mènent au-delà de lui à droite et à gauche. Vous êtes fait pour y être, et il faut y entrer.

« Voilà enfin Dussault qui vous trouve un plus grand poète qu’Esménard[2]. Cela est incontestable, et cela est fort et est décisif pour beaucoup de gens qui le croiront depuis qu’on l’a dit hautement, mais qui n’auroient pas eu l’esprit ou le courage de le penser tout seuls.

« Il faudroit, comme je l’ai dit à M. Quatremère, brocher quelques-unes des réflexions dont vous avez semé votre cours de littérature, rendre ce ramas susceptible d’un titre, en former un petit volume, publier cela à propos, et vous présenter pour la première place vacante. Si vous n’avez pas celle-là, vous aurez l’autre, et les premiers pas, les pas importans seront faits.

« Je n’ai pas lu votre seconde édition ; mais j’avois été et je suis resté pour l’éternité si content de la première, que vous ne perdez rien à cette négligence qui a eu pour cause non pas certes mes occupations (car je ne fais rien du tout depuis six mois), mais un certain nonchaloir d’ame et d’esprit qui m’est prescrit comme régime par les médecins et imposé comme un besoin insurmontable par la nature ; j’en gémis, j’en ai honte et j’en ai même des remords, mais je ne puis le désavouer. Peu d’hommes ont vécu plus inutiles à eux-mêmes et aux autres depuis le mois de janvier, et peu se sentiroient plus disposés à continuer si je cédois au poison froid de l’habitude. J’éprouve que rien n’augmente autant le découragement que l’oisiveté. Je sors un moment de la mienne pour vous. Venez, je me ranimerai pour vous échauffer. Portez-vous bien.

J. »

« P. S. — Vous terminerez en personne votre affaire des examens. On n’est bien servi que par soi ; mais il faut vouloir se servir. »

On cesse de s’aimer, si quelqu’un ne nous aime.

M. Joubert eut beau dire et solliciter cet ami peu ambitieux qui ne consentait à se pousser ni du côté de l’Université, ni même du côté de l’Académie : il y perdit sa peine et ses insinuations charmantes. Chênedollé, à la date du 2 juillet 1823, écrivait dans son journal, pendant un court voyage à Paris : « C’est aujourd’hui que j’ai revu Joubert. Il y avait douze ans que je ne l’avais vu ; je l’ai revu avec un extrême

  1. Il fait allusion à un vers de Mme de Staël dans le drame de Sophie :
  2. Chênedollé venait de publier en 1812 une seconde édition du Génie de l’Homme, avec une préface dans laquelle il discutait les critiques qui lui avaient été faites ; de là de nouveaux articles de Dussault (Journal de l’Empire du 27 juillet et du 9 août 1812) ; Dussault avait déjà parlé de la première édition.