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J’ai regretté comme vous Mme de Beaumont. Rien n’est plus attendrissant que le tableau de ses derniers momens. Vous le connaissez sans doute. Les émotions douloureuses que notre ami a dû éprouver en Italie me font encore souhaiter plus vivement qu’il la quitte bientôt. Puisse-t-il dire en Suisse :

Saepe premente deo, fort deus alter opem !
Quand un dieu nous opprime, un autre nous soulage.


Il s’en faut bien que j’en puisse dire autant. Je voudrais bien aussi que ce vers devîint votre devise. Adieu, monsieur ; songez à nous revoir, et croyez à mon éternel attachement. »

« FONTANES. »


Mais c’étaient surtout les conversations de Fontanes qui avaient un charme infini et toujours nouveau pour Chênedollé. Il était revenu de ce genre de conversation à la Rivarol qui est comme une escrime perpétuelle : « La conversation n’est point un assaut, disait-il, c’est une promenade qui se fait à droite et à gauche, en long et en large, et même en serpentant. » Je trouve dans ses papiers les souvenirs notés des promenades, des conversations diverses qui l’avaient frappé à de certains jours l’une qui remonte à 1800 avec Joubert, avec MM. Pasquier et Molé sur Montesquieu envisagé dans sa Grandeur des Romains, dans le Dialogue de Sylla et d’Eucrate, et comparé avec Bossuet. J’en trouve une autre, du 6 février 1807, avec M. Molé sur les passions ; on y disait :

« Dans le vrai, nous sommes entourés de beaucoup de charmes sur la terre les sciences, les lettres, les arts, la nature, quelles, sources de satisfactions si nous étions purs, si nous savions en jouir avec innocence ! Mais nous gâtons tout cela. — Hélas ! oui, ce sont les passions qui gâtent tout. Si nous pouvions réaliser la définition de M. Du Bucq[1], si nous avions de l’intérêt pour toutes ces belles choses, et si nous restions dans le calme, tout serait bien. Mais un objet trop aimable n’a qu’à se montrer, adieu toute la philosophie, et nous voilà rejetés dans l’orage. — Ne croyez-vous pas aussi que la retraite n’a tant de charmes qu’en perspective, et comme contraste avec notre inquiétude actuelle ? Avec le calme parfait, elle est beaucoup moins belle. »

Je trouve notée une autre conversation avec Joubert du 2 février 1807 sur le style, sur les écrivains du jour, sur Bernardin de Saint-Pierre comparé à Chateaubriand ; je me réserve d’en dire ailleurs quelque chose[2]. Ces conversations avec Joubert et Fontanes avaient surtout pour Chênedollé le grand intérêt des matières littéraires sur lesquelles elles roulaient plus habituellement. Joubert n’y ménageait rien de ces hardiesses, de ces élévations de jugement qui n’étaient qu’à lui, et qui

  1. M. Du Bucq définissait le bonheur l’intérêt dans le calme (voir les Nouveaux Mélanges extraits des Manuscrits de Mme Necker, 1801, tome II, page 11).
  2. Dans le cours sur la littérature de l’Empire, où ces divers jugemens sont distribués en leur lieu.