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car la Lozère, par exemple, est régulièrement incapable de fournir son contingent proportionnel et légal d’hommes valides : ainsi tout homme valide y est nécessairement conscrit.

Ce régime a-t-il quelque compensation pour le jeune homme qui tombe au sort ? Quelques personnes l’ont prétendu. À l’armée, ont-elles dit, l’ouvrier et le paysan s’instruisent ; ils se délurent ou se déniaisent : ce sont les mots dont on s’est servi. Pour ce qui est de l’instruction, tout considéré, j’imagine que le plus clair c’est la charge en douze temps et l’art de parer tierce ou quarte, ce qui n’est pas de défaite dans l’industrie manufacturière ni agricole. Quant à se délurer, je ne sais trop ce qu’on entend par là, si ce n’est l’art de séduire de pauvres filles ; et en république, pas plus que sous la monarchie, je ne crois pas qu’il soit d’intérêt public que cet art fleurisse. Prenons donc le soldat français tel qu’il est, non pas celui des dessins de Charlet et des refrains du vaudeville, mais notre jeune compatriote devenu, contre son gré, fusilier pour sept années, qui ne ressemble pas plus au type inventé par nos artistes et nos chansonniers que le pâtre de la Normandie ou du Cantal aux bergers de Florian. Le soldat français se plaît-il à l’armée ? quitte-t-il les drapeaux meilleur ouvrier qu’il n’y était venu, oui ou non ? Le fait est qu’après ses sept années il a désappris sa profession, que le plus souvent il en a perdu le goût. Qui ne sait que la vie de garnison est contraire à l’amour du travail ? Parlons de liberté, c’est de cela qu’il s’agit. Comment traitons-nous la liberté de ces 80,000 jeune gens, prémices pris sur chacune des générations, quand nous les enlevons pour sept années, les plus belles de leur vie, à leur clocher, à leurs habitudes, à leurs affections, à leur existence productive ?

Si c’est la raison d’état qui commande ce sacrifice, je me soumets. Si, comme le pense et l’a éloquemment développé, il y a quelques mois, un des princes de la tribune, grand historien, la France, en vue des guerres politiques qu’elle peut avoir à soutenir, doit toujours avoir toute prête une armée d’Austerlitz, et si ensuite la conscription seule peut procurer une aussi parfaite machine de guerre, prosternons-nous ; mais, dans mon humble opinion, aucun de ces deux points n’est encore bien établi.

J’oserai dire d’abord que l’argument des guerres politiques ne me persuade pas. C’est le propre du pouvoir absolu que d’engager les états dans des guerres dites politiques, c’est-à-dire qui ont pour objet toute autre chose que la défense du territoire menacé ou de l’honneur national profondément blessé. La campagne de François Ier à Pavie, guerre Politique ; — l’invasion de la Hollande par Louis XIV si brillamment commencée, mais si mal finie, et qui devait provoquer une vengeance par laquelle nous fûmes à deux doigts de notre perte, guerre politique ; — la guerre d’Espagne par Napoléon, première cause de la décadence