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légitimité, à ce parti rétrograde que nous avons, en 1830, renversé du pouvoir, nous autres grands industriels. Ta marquise, que Dieu confonde ! et son godelureau de fils t’auront dit du mal de Gaspard ; je n’en suis pas surpris. Dans ce parti, on ne connaît point d’autres armes que la calomnie : j’en excepte pourtant les baïonnettes étrangères. Je tiens le vicomte de Montflanquin pour l’honneur, pour la loyauté même. Pourquoi Jolibois nous l’aurait-il présenté comme la fleur des preux ? Pourquoi le comte de Kerlandec et le chevalier de Barbanpré, ces deux burgraves de la vieille Armorique, me chanteraient-ils chaque jour et sur tous les tons ses mérites et ses vertus ?

— Mais, mon père, d’où vient que la marquise est partie d’un éclat de rire en m’entendant nommer ces deux burgraves ?

— Encore un coup, laissons là ta marquise ! Je vais, de ce pas, relancer Gaspard dans sa vicomté. Un Levrault peut courir sans honte après le rejeton d’une maison qui se rattache par ses alliances aux Baudouin et aux Lusignan.

Laure se planta fièrement devant la porte du salon, et lui barra vaillamment le passage. Elle tenait à son marquis autant que M. Levrault à son vicomte. On doit se rappeler qu’elle n’avait jamais éprouvé de bien vives sympathies pour Gaspard ; elle avait lutté long-temps contre l’entraînement de son père, et n’avait cédé que de guerre lasse, dans la conviction que Montflanquin était le seul parti que la Bretagne eût à lui offrir. On n’eût pas éveillé sa défiance, que l’entrée en scène d’un marquis aurait suffi pour changer brusquement ses dispositions et retourner son cœur comme un gant. Or, ce marquis était des plus charmans, et, s’il n’importait guère à Mlle Levrault d’avoir un mari jeune et beau, il lui importait encore moins d’épouser un homme mûr et laid. Avec cet instinct délicat que les femmes ont au plus haut degré, elle avait saisi sur-le-champ quelle distance séparait Montflanquin des La Rochelandier. Elle ne s’était pas trompée un seul instant au bon parfum d’aristocratie répandu dans le gothique manoir où son étoile venait de la conduire. Les opinions politiques de la marquise et de son fils ne l’inquiétaient aucunement ; elle se souciait médiocrement que son père siégeât à la chambre haute, et se disait avec orgueil que, si elle n’allait pas à la cour, elle irait chez les duchesses du faubourg Saint-Germain. Elle n’ignorait pas que, depuis 1830, la rue des Bourdonnais était moins loin des Tuileries que du noble faubourg. Tels étaient déjà ses rêves ; mais, quand bien même elle eût senti qu’elle n’avait rien à espérer de ce côté, elle n’en eût pas moins rapporté à la Trélade la ferme résolution de rompre en visière au vicomte. Elle avait, en quelques heures, appris à le connaître. Sans parler de la belle invention de la pastoure et de sa vache, le silence de la marquise et de Gaston en avait dit suffisamment sur Gaspard ; ce silence délateur,