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mauvaise des mers d’Europe : le rivage en est aussi perfide que la surface en est tumultueuse. Le navire, battu par les tempêtes si souvent déchaînées dans le golfe de Lyon, est menacé sur les deux tiers de son horizon par une côte basse, sablonneuse, où le fond manque à de grandes distances de la terre. Si, dans cette redoutable étreinte, il peut tourner le cap vers Port-Vendres, une mer sûre et profonde s’étend devant lui, et chaque lame qu’il franchit le rapproche d’un asile protecteur. Aucun atterrage n’est plus facile à reconnaître. Les crêtes du Canigou le signalent, de leurs 2,781 mètres de hauteur, à une immense distance ; en approchant, le navigateur règle sa route sur les pics aigus de Carox, de Madeloc, de Massane, couronnés de ces tours à signaux que les Arabes ont laissées sur toutes les côtes qu’ils ont occupées ; bientôt il se dirige sur les forts Saint-Elme, qui autrefois, peint en blanc, brillait au soleil à quinze lieues au loin sur les teintes sombres du granit qui le porte ; le cap Gros et le cap Béar le guident enfin dans le bassin qu’a creusé, la nature entre leurs saillies.

Les avantages de cette position ne pouvaient échapper au soin avec lequel les Marseillais, dès le début de leur établissement en Provence, explorèrent toutes les côtes de la Méditerranée citérieure : ils y fondèrent le temple et le port de Vénus pyrénéenne, et le cap, qui reçut le nom de la déesse, portait en même temps le leur : Καλουσι δε αυτο και Μασσαλιωτικον.[1]

Les Espagnols ont rarement étudié les avantages naturels de leurs immenses possessions, et plus rarement encore pratiqué l’art d’en tirer parti. Voici, d’après une des notes qui étaient sous les yeux du cardinal de Richelieu pendant les préparatifs de la campagne de 1640, ce qu’ils faisaient de l’atterrage de Port-Vendres :

« Il a une tour, et les Castillans en sont maîtres. C’est un désert ; il n’est pas de grande réputation, et MM. de Catalogne connaissent fort peu ce lieu.

« À une lieue de là est un port nommé Coullioure, où il y a trois cents maison et un fort du côté de la mer que les Castillans tiennent. Ce lieu est bon pour les galères d’Espagne, lesquelles font journellement leur trajet en Italie, pour aller et venir, comme étant le plus près du golfe de Lyon. Le port de Coullioure est de grandissime importance, à cause que c’est par là que les Espagnols donnent entièrement secours au comté de Roussillon[2]. »

Bientôt après la Catalogne et le Roussillon soulevés furent occupés par nos armées, et, quand Perpignan fut assiégé, les événemens de la

  1. Strab., t. IV.
  2. Note pour Monseigneur et relation des ports qui sont en la côte de Catalogne. (Archives des affaires étrangères.)