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guerre apprirent à tout le monde ce que valait Port-Vendres. Les Espagnols y débarquaient en sûreté, se formaient dans la montagne et descendaient dans la plaine, soit pour harceler nos postes, soit pour communiquer avec Perpignan : aussi le maréchal de Brézé déclara-t-il, dès qu’il eut une connaissance exacte des lieux, l’impossibilité de purger le Roussillon, tant que Port-Vendres et Collioure seraient aux mains de l’ennemi[1]. Il attaqua ces deux places le 22 décembre 1641, et échoua dans cette entreprise par une fausse manœuvre d’une brigade de Catalans. Le chagrin qu’il en ressentie fut bien justifié le 28 janvier suivant, lorsque Perpignan, qui n’avait plus que pour deux jours de vivres, fut ravitaillé pour six mois par une expédition espagnole qui, prenant terre à Port-Vendres et traversant toute la plaine, jeta 2,500 combattans dans la place assiégée. On opposa enfin, pour combattre à armes égales, des forces navales à celles des Espagnols[2]. Nous nous établîmes à Port-Vendres, et bien nous en prit, car, sans ce refuge, toutes les galères françaises périssaient dans une tempête qui eut lieu le 1er juin. Une fois ce port occupé, la ligne d’opérations des Espagnols fit coupée, et la guerre marcha rapidement vers son terme.

La mémoire de ces événemens était encore fraîche, lorsque Vauban fit, en 1669, son premier voyage en Roussillon, cependant il n’arrêta ses projets sur Port-Vendres que lorsqu’il y revint dix ans plus tard. Il exposa ses vues dans un mémoire détaillé[3], et calcula qu’avec 840 hommes bien commandés, Port-Vendres, fortifié comme il l’entendait, serait imprenable, à moins du concours d’une force navale qui ne saurait où se réfugier l’hiver, d’une armée de terre de 35,000 hommes, qui, l’été, ne saurait tenir huit jours sans mourir de soif et de fatigue. « Pour conclusion, dit-il, je trouve tant d’avantage pour la France à bâtir une place à Port-Vendres, que, si je vivois cent ans et qu’on me fit faire cent voyages en Roussillon, je me ferois toujours un point de conscience d’en proposer la fortification, comme d’une chose qui importe tellement au service du roi et de toute la France, qu’on ne peut sans indignation concevoir la négligence qu’en a eue pour ce poste jusqu’a présent, et que l’on se soit amusé, comme l’on a fait à Collioure, vu même que le roi n’a pas un seul port à cinquante ou soixante lieues de là ; que nos galères, pour pouvoir se retirer à Marseille dans un mauvais temps, ont la plus méchante mer du monde à traverser, et que celui-ci est situé dans un pays où il causera un jour infailliblement la perte du Roussillon ou la prise de la Catalogne, suivant que l’un ou l’autre des deux rois en saura faire son profit. »

  1. Correspondances militaires diverses. (Arch. des aff. étr.)
  2. Lettres du maréchal de Brézé du 5 janvier, du 2 et 17 février 1642. (Ib.)
  3. Perpignan, le 2 mai 1679.