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REVUE DES DEUX MONDES.

VALENTIN.

Elle subsistera durant l’éternité. Donne-moi ta main, ma sœur ; reçois ce dernier baiser et cette dernière étreinte. Dieu, qui nous avait unis et qui nom sépare, nous réunira de nouveau. Nous ne sommes plus une seule chair, mais nous n’aurons jamais qu’un cœur. Grand Dieu ! vous connaissez notre amour, et vous voyez le sacrifice que nous vous faisons. Je me voue avec elle et je la voue avec moi pour vous servir jusqu’à la mort dans la pauvreté, dans la chasteté et dans la souffrance.

EULALIE.

Dieu accepte l’offrande et m’en donne le prix. Ne crains plus rien pour moi. Mon âme peut à présent braver toutes les terreurs, et je regarde la mort comme un passage que j’ai déjà franchi.

VALENTIN.

Quitte ce vêtement, prends celui des pauvres veuves ; couvre ton père et ta mère des habits que nous tenions en réserve pour les indigens. Pendant quelques jours encore, la pauvreté sera une sauvegarde. Je vais moi-même m’habiller en ouvrier, et je vous conduirai chez des chrétiens qui ne vous trahiront pas. Mon père, vous avez été quelquefois importuné du grand nombre de pauvres qui venaient ici. Plusieurs accourront sans doute prochainement pour piller ; mais il en est dans le nombre qui vous sauveront la vie.

DENIS DUPUIS.

Je suis atterré.

Mme DUPUIS.

Ne perdons pas de temps.

(ils sortent par une porte du fond.)
FRITZ.

Monsieur, deux hommes du peuple, détachés d’une foule considérable qui est dans la rue, vous ont demandé et montent ici. Ils sont armés.

VALENTIN.

Ouvrez-leur la porte, et, pendant que je les occuperai, tâchez de faire évader ma femme et ses parens. Si vous les sauvez, vous me sauverez plus que la vie.

FRITZ.

Monsieur, vous m’avez traité en ami plus qu’en serviteur ; s’il le faut, je mourrai pour vous. Je déteste les excès que je vois commettre. Cependant sachez que j’aime la liberté et l’égalité, et que je suis de cœur avec mes frères. Vive la république !

VALENTIN.

C’est bien. Vos frères ne tarderont pas sans doute à venir piller ici ; faites votre part. Je vous donne tout ce que vous pourrez prendre. (Fritz sort.) Ils ne sont pas tous ingrats, mais tous sont fous.

(Entrent Griffard et un ouvrier.)


XI.


L’OUVRIER.

Comte de Lavaur, me reconnaissez-vous ?