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200 millions et plus d’indemnité pour les frais de la guerre. Après et pendant ses échecs en Hongrie, elle s’est rabattue à 75 millions. Le Piémont a offert 70 millions. Dans ces termes, nous comprenons que ceux qui ne regardent qu’à la différence des chiffres ne conçoivent pas comment la paix ne se fait pas, les deux parties étant si près de s’entendre ; mais ce qui prolonge le débat, c’est que, sous la question de chiffres, il y a une question de politique. Au Piémont, état constitutionnel ayant pour ministre principal M. d’Azeglio, c’est-à-dire un libéral de la bonne école italienne, de celle qui ne veut ni anarchie ni despotisme, de celle qui par conséquent est redoutable à l’Autriche, au Piémont gouverné par de telles institutions, par de tels hommes, l’Autriche ne veut rien accorder : elle élève difficultés sur difficultés ; mais au Piémont qui reprendrait ses vieilles institutions despotiques, au Piémont gouverné par des ministres du parti rétrograde, au Piémont qui ne serait plus un mauvais exemple pour l’Italie, au Piémont qui s’appuierait sur l’Autriche contre la France au lieu de s’appuyer sur la France contre l’Autriche, l’Autriche accorderait tout. En se montrant si dure et si difficile contre le Piémont, ce n’est donc pas 5 millions que l’Autriche cherche à gagner : c’est une position politique contre l’Italie et une position stratégique contre la France. Le jour où elle aura ôté à l’Italie la tribune piémontaise et à la France son alliée et sa parente libérale, ce jour-là l’Autriche fera vite la paix avec le Piémont.

Cette situation crée au ministère piémontais un grave danger. Le retard de la paix irrite le pays, et les passions démagogiques recommencent à s’agiter au nom de l’honneur national. En face de cette agitation révolutionnaire, l’Autriche attend et prépare le dénoûment qu’elle souhaite, c’est-à-dire la chute du ministère libéral de M. d’Azeglio sous les coups du parti rétrograde, qui lui reproche de ne pas faire une paix si nécessaire au pays, ou sous les coups du parti démagogique, qui lui reproche de s’humilier en vain devant l’Autriche.

Nous reviendrons sur cette question du Piémont qui nous touche de bien près, et sur laquelle nous avons perdu la prise que nous avions le jour où le gouvernement français a licencié l’armée des Alpes. Nous n’avons voulu aujourd’hui qu’indiquer le lien que cette question a avec la question romaine. Ce n’est pas trop la peine en effet d’établir avec bien des difficultés une politique libérale à Rome, si nous laissons s’établir à nos portes une politique illibérale. Ce n’est pas la peine d’être au jeu dans l’Italie centrale, si nous nous laissons mettre hors du jeu dans l’Italie piémontaise. La politique libérale de la France ne doit pas seulement avoir une guérite en Italie, à Civita-Vecchia ; elle doit garder les avant-postes qu’elle a à Turin depuis le 8 février 1848, et que le roi Louis-Philippe voulait garantir. « Ne laissez aucun doute, écrivait M. Guizot au ministre de France à Turin, ne laissez aucun doute sur la sincérité et l’activité de notre politique dans la cause de l’indépendance des états italiens et des réformes régulières qui doivent assurer leurs progrès intérieurs sans compromettre leur sécurité. » Ces paroles, écrites en 1847, peuvent encore, en 1849, servir de règle à notre politique à Rome et à Turin.

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V. de Mars.