Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/417

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
411
LES EAUX DE SPA.

Vous voyez que la contrefaçon même, la contrefaçon, notre cauchemar, peut avoir ses bons momens, et qu’avec un peu de bonne volonté, il ne serait pas difficile de plaider cette cause perdue. En voici bien d’une autre cependant : la Belgique est sur le point de renoncer à la contrefaçon ! Oui, la Belgique s’est morigénée elle-même ; elle s’est dit qu’après tout il n’était pas convenable de dépouiller si cruellement les écrivains d’un peuple voisin, que le profit était moins grand que le crime, qu’à la rigueur, s’il lui fallait des romans, des histoires, des drames, des poèmes pour sa consommation, elle pourrait bien les faire elle-même, comme elle fait ses draps et ses rails ; bref, mille raisons pour ne plus toucher à nos livres. En ce moment, la loi se prépare ; elle est faite, et, quand les chambres belges auront le temps, quand messieurs les sénateurs seront revenus de la campagne, quand messieurs les représentans auront fait leurs foins (gens heureux, ces représentans !), on verra à abolir la contrefaçon. « De tout ceci, vous pouvez en être sûr, me disait un jeune Belge qui sait très bien tenir une plume pour son propre compte, je fais partie de la commission qui sollicite cette loi de justice. — Et d’amour ? lui dis-je. – Et d’amour, » reprit-il.

Resté seul (la conversation avait lieu dans cette longue avenue du Marteau, où se promènent dans leurs voitures armoriées, entraînées souvent par quatre chevaux, les plus belles dames que le canon de Rastadt ait mises en fuite), j’éprouvai à cette nouvelle de la contrefaçon abolie un de ces malaises qu’on ne pouvait définir. Certes, c’est là une bonne nouvelle pour la littérature agonisante de ce pays ; mais cette bonne nouvelle a son mauvais côté. — Comment ! me disais-je à moi-même, la littérature française en est venue à ce point, que la Belgique renonce de gaieté de cœur à contrefaire nos livres ? « Mon ami, disait Henri IV au duc de Sully, ta religion est bien malade, ses médecins l’abandonnent. » Ô mes amis ! mes amis les écrivains, les romanciers et les poètes, notre littérature est bien malade, voici que la Belgique y renonce ! Elle renonce à notre esprit, à notre science, à notre art, grand et petit ; elle n’en veut plus, elle nous le rend, elle nous en fait cadeau. C’est un fait, nous ne valons plus la peine d’être contrefaits.

Ne croyez pas que je plaisante, il y a bien du sérieux dans ce que je vous dis là. Certes, la contrefaçon abolie enfin, ce sera toujours autant de gagné sur l’avenir ; mais la littérature présente n’y gagnera pas grand’chose, et les œuvres passées resteront engagées à ce domaine public qui est à nos portes. Cette fois encore, la Belgique généreuse ne se ruine pas en générosité. Vous renoncez à nos livres, hommes désintéressés, au moment où nous ne faisons plus que des affiches électorales et des brochures politiques, la brochure, le plus niais et le plus inutile produit du papier imprimé ! Vous renoncez à nos drames, quand c’est à