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de terre où la révolution trouvât naguère asile est le seul pacifié. L’Europe ensanglante vingt champs de bataille, l’Espagne passe la charrue sur les siens. Paris, Vienne, Berlin, Rome, Naples, sont condamnés à chercher un moment de répit dans l’état de siége ; l’Espagne trouve un repos durable dans la réconciliation de ses partis. Nos prisons regorgent, les siennes s’ouvrent à deux battans. Nous ne savons plus où mettre nos déportés, elle rappelle tous ses émigrés.


II

Le cabinet de Madrid a su utiliser sa victoire. À peine maître de la situation, il a proposé une mesure devant laquelle étaient successivement tombés deux gouvernemens, mais dont l’ajournement paralysait tout progrès matériel et moral en Espagne : la réforme générale des tarifs douaniers.

Les momens étaient précieux. Pour la première fois, les préoccupations de nationalité, les scrupules plus ou moins intelligens de libéralisme dont s’était jusque-là compliquée cette question, n’étaient pas en éveil. Les progressistes avaient autrefois accusé la France de provoquer la réforme douanière dans l’intention de fortifier au-delà des Pyrénées, à la faveur de l’extension des rapports commerciaux des deux pays, l’ascendant de sa politique modératrice et de ses intérêts de famille : par la nature même de nos institutions républicaines, par l’inaction de notre diplomatie depuis février, nous échappions désormais à ce double soupçon. Qui l’avait d’ailleurs formulé jusqu’ici ? La Grande-Bretagne, dont les calculs de monopole commercial ne pouvaient pas s’accommoder, nous l’avons dit, d’un abaissement général des tarifs. Or, l’impression de l’incident Bulwer était encore récente. Le Foreign-Office, par l’audace de ses prétentions de protectorat et de ses menées montemolinistes, s’était enlevé le droit d’exploiter des sentimens, des principes, qu’il avait brutalement outragés ou reniés. Il n’en avait plus surtout le moyen : l’ambassade anglaise de Madrid, ce quartier-général de guerre civile, où l’insurrection était sûre de trouver à point nommé l’encouragement pécuniaire de ses projets, la sanction de sa victoire, l’inviolabilité de sa défaite, l’ambassade anglaise était fermée cette fois. Quant à l’élément contrebandier, l’intérêt qui l’avait détaché des dernières tentatives factieuses subsistait toujours. S’il ne voulait pas d’un abaissement général des droits de douanes, il ne voulait pas non plus d’un traité avec l’Angleterre, conséquence à peu près inévitable du renversement des modérés. L’enjeu était au moins douteux, la partie dangereuse à coup sûr, témoin la rude leçon que le cabinet de Madrid venait de donner à d’autres insurgés. Restait l’élément manufacturier.