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nombre des personnes engagées sur terre et sur mer dans ce commerce illicite, qui occupait des capitaux considérables et donnait d’immenses profits. De forts bâtimens de commerce déchargeaient en pleine mer leurs marchandises sur des barques à charbon qui les transportaient le long de la côte ; des hommes armés protégeaient le débarquement et acompagnaient les convois jusque chez les marchands de l’intérieur. Les fermiers voisins de la mer avaient changé d’état, et, au lieu d’employer leurs chevaux à travailler le sol, s’en servaient avec avantage pour ces transports. La contagion avait gagné jusqu’aux fabricans ; métiers et enclumes étaient abandonnés. L’industrie et l’agriculture de quelques comtés étaient menacées de ruine La sécurité publique elle-même en souffrait. Toute cette population, habituée à vivre du mépris des lois, avait contracté des mœurs violentes et presque sauvages. Les personnes et les propriétés des magistrats qui essayaient de mettre obstacle à ces pratiques illégales étaient exposées à toute sorte d’injures. Pendant la guerre, ces contrebandiers embauchaient des matelots sur les vaisseaux de l’état, entretenaient des intelligences avec l’ennemi, et répandaient la terreur dans tout le pays[1]. Par suite de ces désordres, les douanes ne rapportaient en 1783 que 5 millions sterling (125 millions de fr.) ou tout au plus le quart de ce qu’elles donnent aujourd’hui.

Des causes différentes, mais non moins actives, atténuaient les produits de l’excise et du timbre. On entend par excise en Angleterre l’ensemble des impôts de consommation connus en France sous le nom de contributions indirectes. Ce genre d’impôts est né en Hollande comme la plupart des moyens financiers usités de nos jours ; il a été importé en Angleterre par le long parlement sous le protectorat de Cromwell. Il n’avait d’abord été établi que pour la durée de la guerre, et ne pesait que sur la bière, l’ale et le cidre : il fut peu à peu étendu au plus grand nombre des objets de consommation ; mais la résistance populaire avait mis de grands obstacles à son accroissement. Les formes de perception de l’excise révoltaient les habitudes d’indépendance de la nation ; l’obligation pour tout marchand ou fabricant de prendre des licences, de faire à tout moment des déclarations, de subir des visites, de comparaître devant un tribunal arbitraire, de rendre compte au fisc des opérations de son commerce, paraissait à beaucoup d’Anglais contraire aux principes de la constitution. Il n’avait fallu rien moins que la main puissante de Cromwell pour faire adopter de pareilles règles ; la nécessité les avait maintenues, mais le commerce anglais aspirait toujours à s’en affranchir. Des efforts tentés à plusieurs

  1. On trouve dans le Redgauntlet de Walter Scott, dont l’action se passe vers 1770, une peinture fidèle des mœurs de ces contrebandiers. Le capitaine Nanty Ewart et l’honnête receleur Trumbull sont au nombre des plus vivantes créations du romancier écossais.