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moins bien réussi cette fois. Il a outré son modèle. Le talent de M. Yvon le porte aux entreprises violentes. Il traduit l’Enfer de Dante dans le style du Jugement dernier ; et justifie cette audace par une rare puissance de crayon. Néanmoins, quand on songe à l’abîme qui sépare Michel-Ange de tous ceux qui de près ou de loin ont tenté de le suivre, quand on compare les fresques de Bronzino et celles de Vasari à la Sixtine, on se sent porté à détourner de toutes ses forces les enthousiastes qui voudraient encore aller se brûler les ailes à ce flambeau.


III. – LA SCULPTURE.

L’événement du jour dans la sculpture, c’est l’apparition de M. Préault au salon. Ainsi que M. Rousseau le paysagiste, ce sculpteur avait été jusqu’ici tenu à l’écart comme mal pensant et de dangereux exemple. L’opinion de l’ancien jury pouvait jusqu’à un certain point être fondée ; mais, si M. Préault devait faire des prosélytes, n’était-ce pas justement le moyen de lui en fournir ? Ces rigueurs, dictées par une prudence maladroite, ont perpétuellement les mêmes résultats. La persécution grandit toujours les proscrits, et par tout pays commande le respect. Aujourd’hui, M. Préault est enfin rentré dans le droit commun, et ne relève plus que du public ; nous nous en réjouissons. Cela met chacun plus à l’aise.

M. Préault a exposé un ensemble d’ouvrages assez complet pour qu’on puisse se former une idée arrêtée de sa manière. Le morceau capital est un Christ en croix, où l’artiste a exprimé avec une sauvage énergie les dernières convulsions de l’agonie. Le buste se tord, la chair se contracte, et les pieds gonflés se crispent sous le clou qui en fait jaillir un sang épais. L’expression de la douleur matérielle étant le seul but que se propose l’artiste, il est évident que le choix du modèle lui importe peu, ou plutôt, dans ce système, la nature la plus grossière est précisément celle qu’il doit rechercher. On s’en aperçoit vraiment. À la vue de cette tête sans noblesse, de ces membres empruntés sans goût au portefaix le premier passant, l’histoire de Donatello nous revient naturellement à la mémoire. Ce célèbre sculpteur, dans sa jeunesse, avait fait un Christ, et comme il demandait à Brunelleschi ce qu’il pensait de cet ouvrage, celui-ci lui répondit « qu’il n’avait mis en croix qu’un paysan, che gli pareva che avesse messo un croce un contadino. » On peut voir encore dans l’église de Santa-Croce, à Florence, ce Christ de Donatello, qui est effectivement bien loin de la perfection à laquelle parvint plus tard ce maître ; mais, si Brunelleschi pouvait avec raison signaler dans l’ouvrage de Donatello l’absence de noblesse et de cette grandeur qui imprégnaient les œuvres sublimes du XIVe siècle, que serait-ce si on faisait entrer en ligne de comparaison le Christ de