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un autre ; mais ces moyens imparfaits et grossiers n’offraient aucune combinaison possible, ou du moins suffisante, pour exprimer plus de trois ou quatre pensées bien déterminées d’avance. L’art des signaux, que l’on rencontre à divers degrés de perfectionnement chez toutes les nations civilisées, ne pouvait en effet se développer et s’étendre que par les progrès de l’optique. Pour écrire de loin, il faut voir de loin : la découverte des lunettes d’approche et des têtescopes pouvait donc seule permettre de créer la télégraphie.

C’est à un physicien français, Guillaume Amontons, que revient I’honneur d’avoir appliqué le premier les instrumens d’optique à l’observation des signaux aériens. Dans l’Éloge d’Amontons, Fontenelle a décrit son invention avec assez d’exactitude : « Peut-être ; dit Fontenelle, ne prendra-t-on que pour un jeu d’esprit, mais du moins très ingénieux, un moyen qu’il inventa de faire savoir tout ce qu’on voudrait à une très grande distance, par exemple de Paris à Rome, en très peu de temps, comme en trois ou quatre heures, et même sans que la nouvelle fût sue dans tout l’espace d’entre-d’eux. Cette proposition, si paradoxe et si chimérique en apparence, fut exécutée dans une petite étendue de pays, une fois en présence de Monseigneur et une autre en présence de Madame. Le secret consistait à disposer dans plusieurs postes consécutifs des gens qui, par des lunettes de longue vue, ayant aperçu certains signaux du poste précédent, les transmissent au suivant et toujours ainsi de suite, et ces différens signaux étaient autant de lettres d’un alphabet dont on n’avait le chiffre qu’à Paris et à Rome. La plus grande portée des lunettes faisait la distance des postes, dont le nombre devait être le moindre qu’il fût possible, et, comme le second poste faisait des signaux au troisième à mesure qu’il les voyait faire au premier, la nouvelle se trouvait portée de Paris à Rome presque en aussi peu de temps qu’il en fallait pour faire les signaux à Paris. »

Amontons était un des physiciens les plus habiles du XVIIe siècle. Ses travaux sur le thermomètre à air, sur le baromètre conique et sur l’hygrométrie ont exercé sur les progrès de la physique naissante une influence des plus salutaires. Il était né inventeur ; mais, s’il avait le génie qui dicte les découvertes, il était loin de réunir les qualités d’esprit qui font le succès et la fortune des inventions. Hors de ses livres et de ses machines, c’était l’homme le plus gauche et le plus ennuyeux du monde. Ajoutez qu’il était sourd. Il ne voulut jamais essayer de guérir sa surdité ; « il se trouvait bien, dit Fontenelle, de ce redoublement d’attention et de recueillement qu’elle lui procurait, semblable en quelque chose à cet ancien que l’on dit qui se creva les yeux pour n’être pas distrait dans ses méditations philosophiques. » Ceci était admirable pour faire des découvertes mais fort peu propre à en assurer le retentissement au dehors. Aussi est-il probable que la découverte d’une machine à signaux qu’il fit vers 1690 serait restée à jamais inconnue, si le hasard ne s’en était mêlé. Mlle Chouin, maîtresse du premier dauphin fils de Louis XIV, entendit parler de la découverte d’Amontons. En sa qualité de favorite, Mlle Chouin avait ses caprices : elle eut la fantaisie de voir fonctionner la machine du savant, elle s’intéressa à la fortune du pauvre inventeur ignoré. Mlle Chouin avait aussi d’autres qualités, et elle ne manquait pas d’un certain esprit d’intrigue, ce qui fit qu’en dépit de l’indolence et de l’apathie du dauphin, elle obtint de lui la promesse d’une expérience publique. L’expérience eut lieu dans le jardin du Luxembourg, devant le dauphin ; mais elle tourna fort mal. La présence du