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prince, les brillans costumes des seigneurs qui l’entouraient, tout cet étalage solennel et inusité, troublèrent le savant. Sa surdité augmentait sa confusion. Il manoeuvra tout de travers et ne put transmettre aucun signal ; le dauphin se mit à bâiller, et tous les courtisans de l’imiter. La séance se termina sur cette triste impression. Cependant Mlle Chouin ne se découragea pas : elle obtint une seconde épreuve, qui se fit en présence de la dauphine. Cette fois les choses marchèrent, mieux, mais tout le crédit de la favorite ne put aller plus loin. Que pouvait-elle obtenir de plus de la nullité d’un prince qui, au rapport de Saint-Simon, depuis qu’il était sorti des mains de ses précepteurs, « n’avait de sa vie lu que l’article Paris, dans la Gazette de France pour y voir les mariages et les morts ? » Amontons, découragé, abandonna sa découverte. Il se consola de cet échec en prenant place, quelques années plus tard, sur les bancs de l’Académie des Sciences.

On a beaucoup vanté les encouragemens et les honneurs qui furent accordés, sous Louis XIV, aux lettres et aux beaux-arts. Il faudrait ajouter, pour tout dire, que les sciences ne participaient guère de ces hautes faveurs. Quand Louis XIV eut fondé l’Académie, lorsqu’il l’eut installée au Louvre, et qu’il eut ainsi fait aux académiciens la politesse royale de les recevoir chez lui, il se crut suffisamment acquitté envers la science. Cinq ou six pensions accordées à quelques savans bien en cour, adulateurs émérites, de la trempe de Fontenelle ou de Fagon, en de rares occasions quelques visites solennelles aux académiciens assemblés, voilà à peu près à quoi se réduisit la protection du grand roi. On cesse d’être surpris de la lenteur qu’a présentée, au XVIIIe siècle, le développement des sciences, quand on songe qu’elles avaient Fontenelle pour interprète et Louis XIV pour protecteur. On vient de voir comment fut accueillie l’idée d’Amontons, qui renfermait le germe de la télégraphie moderne ; quelques années après, un autre inventeur se présenta avec la même découverte, et il ne fut pas mieux traité.

Cet autre inventeur s’appelait Guillaume Marcel ; il occupait à Arles la place de commissaire de la marine. Après plusieurs années de recherches, il était parvenu à construire une machine qui transmettait des avis dans l’intervalle de temps qu’il aurait fallu pour les écrire. Les expériences faites à Arles, et dont le procès-verbal existe encore, ne laissent aucun doute à cet égard. Les mouvemens de la machine s’exécutaient avec une rapidité égale à la pensée. En outre, l’appareil fonctionnait de nuit aussi bien que de jour ; Marcel avait donc inventé le télégraphe nocturne, ce phénix tant cherché depuis et qui est encore à trouver. L’inventeur se refusa à publier sa découverte ; il voulut d’abord la mettre sous l’invocation et la protection de louis XIV. Marcel avait déjà servi, quoique indirectement le grand roi. Avocat au conseil, il avait suivi M. Girardin à l’ambassade de Constantinople ; nommé ensuite commissaire près du dey d’Alger, il y conclut le traité de 1677, qui rétablit nos relations commerciales dans le Levant. C’est en récompense de ses services qu’il avait obtenu la place de commissaire de la marine à Arles. Il voulut donc présenter au roi l’hommage et les prémices de son invention : il lui adressa un mémoire descriptif avec les dessins de son appareil ; il ne demandait rien d’ailleurs, et sollicitait seulement le transport de sa machine à Paris. Ce mémoire resta sans réponse ; le roi était vieux, il commençait à négliger pour les choses du ciel son royaume terrestre. Marcel écrivit lettres sur lettres aux ministres ; mais Colbert