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Quand Dieu, dans le paradis terrestre, bénit Adam et Eve, c’est encore avec des vers de Virgile que, dans Falconia, il leur donne sa bénédiction :

Vivite felices interque virentia culta
Fortunatorum nemorum sedesque beatas ;
Haec domus, haec patria est, requies ea certa laborum ;
His ego nec metas rerum nec tempora pono.

Ainsi, dans cette bénédiction de Dieu, tout se trouve mêlé, les héros des champs Élysées, les exilés de Troie qui vont fonder un empire en Italie, et enfin les Romains, avec leur destinée de conquérir le monde et le temps.

Les centons n’étaient pas seulement un travail de marqueterie, c’était aussi un système d’interprétation et d’allégorie mystérieuse. À force d’adapter les vers d’Homère et de Virgile aux récits et aux sentimens de l’Évangile, on en était arrivé à croire qu’il y avait un rapport prophétique entre les mots et les choses, et que les mots ne se prêtaient si bien aux choses que parce que Virgile avait pressenti Jésus-Christ. C’est ainsi non-seulement qu’on interprétait la quatrième églogue de Virgile,

Ultima Cumaei venit jam carminis aetas ;


on expliquait de la même manière certains vers de l’Énéide. C’étaient, disait-on, des prophéties et des vers sibyllins que le poète avait intercalés, par inspiration ou par miracle, au milieu de son poème. Après avoir allégorisé outre mesure tout l’Ancien Testament, on arrivait à allégoriser de même, les auteurs profanes, de telle sorte que le christianisme aurait été partout avant l’Évangile. Mais, quand il est partout, il n’est nulle part, et c’est là, selon nous, le défaut des apologistes chrétiens, qui ont voulu retrouver dans le polythéisme une figure ou une altération d’une révélation primitive conforme à la révélation du christianisme : Si le christianisme existe dans les temps qui l’ont précédé et qui l’ont ignoré, s’il est sous la forme d’emblème et comme une ombre, si surtout une critique attentive peut le reconnaître sous les emblèmes qui le couvrent et le dégager de ses voiles, alors l’Evangile n’a rien donné au monde ; il ne lui a donné que le véritable sens du paganisme. Voilà où aboutissent les interprètes chrétiens du polythéisme ; voilà aussi de quel côté penchaient les allégoristes et les faiseurs de centons. Saint Jérôme, dans une lettre à saint Paulin, s’élève contre cette école stérile et fausse. Il censure d’abord ceux qui accommodaient à leurs opinions quelques passages des prophètes et des apôtres « ne voyant pas, disait il, que c’est une très mauvaise manière d’enseigner que d’altérer l’Écriture et de la tirer par force à leur opinion particulière. Ils font de même que certains auteurs qui, ayant