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ramassé quelques vers d’Homère, en ont composé un ouvrage : ce que d’autres aussi ont fait à l’égard de Virgile, faisant dire à l’un et à l’autre de ces poètes ce à quoi ils n’ont jamais pensé ; car pouvons-nous assurer que le prince des poètes latins a eu connaissance des mystères de notre foi, parce qu’il a écrit que la justice était retournée sur la terre, que l’innocence de l’âge d’or était revenue, et qu’un enfant était descendu du ciel[1] ? » Croyons-nous que ce soit un discours propre au père éternel que le vers que ce même poète met dans la bouche de Vénus parlant à son fils et lui disant : « Mon fils, qui seul êtes ma force et ma puissance[2], » ou bien qu’il ait parlé de Jésus-Christ cloué sur la croix quand il a écrit : « Il disait ces choses, toujours attaché[3] ? » Ce sont des niaiseries d’enfant, et c’est faire le charlatan de vouloir enseigner ce qu’on ne sait pas, et même, pour le dire avec quelque mouvement de colère, c’est ne savoir pas seulement connaître son ignorance[4].

La langue latine et grecque, dans ces poètes du IVe et du Ve siècle, est encore belle et élégante, quoique morte. On aime la forme de ces belles phrases grecques et latines qui n’ont plus long-temps encore à durer ; on jouit, pour ainsi dire, des dernières heures de leur beauté, et comme il n’y a pas de musique plus douce à l’oreille que celle de la langue nationale, les Grecs et les Latins du IVe et du Ve siècle ont pu se plaire aux vers des poètes de cette époque. Le son et la musique leur suffisaient ; ils s’inquiétaient peu de l’idée. Pour nous, qui ne pouvons plus éprouver le charme national de cette musique, pour nous, qui sommes habitués à voir la phrase grecque et latine exprimer des idées et des sentimens tout différens de ceux des poètes de ce temps, nous ne pouvons pas nous accoutumer à cette étrange disparate. Je me souviens d’avoir entendu, à Bucharest, chanter une chanson d’amour sur l’air de la Marseillaise. Cela faisait, pour l’esprit, une étrange dissonnance. J’ai retrouvé quelque chose de cette dissonnance dans la poésie de Sedulius et de Faconia. C’est une musique qui n’a pas été faite pour les paroles qu’elle accompagne ; c’est une broderie étrangère à l’étoffe, ou plutôt appliquée tant bien que mal sur une étoffe qui la repousse. La phrase grecque et latine a été faite pour d’autres idées et pour d’autres sentimens, et il ne dépend pas d’un siècle de changer le rapport établi depuis long-temps entre les idées et les mots, entre les paroles et la musique.

  1. Jam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna ;
    Jam nova proganies coelo demittitur alto. (Quatrième églogue.)
  2. Nate, meae vires, mea magna potentia, solus. (Énéide, liv. Ier.)
  3. Talia persiabat memorans fixusque manchat (Énéide, liv. II)
  4. Lettres chosies de saint Jérôme, trad. 1672.