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PITT ET LES FINANCES ANGLAISES.

rable à son opinion. En conséquence, quoiqu’il fût de son devoir de résister à toute réduction de revenu, il jugeait avoir assez fait pour sauver les principes, et cessait d’insister. La taxe des boutiques fut donc abolie à la grande joie de l’opposition.

Cependant le mouvement imprimé aux esprits en Europe par la révolution qui éclatait en France avait gagné l’Angleterre. L’opposition, enhardie par un premier succès, connut de nouveau l’espoir de renverser le ministère ; elle s’anima d’autant plus contre lui, que Pitt prêtait décidément le flanc sous le rapport financier. Quand il présenta son budget, le 10 juin, il fut obligé de convenir qu’il y avait encore déficit. Sans compter les billets de l’échiquier, renouvelés d’année en année, le déficit qu’il avoua était juste d’un million sterling, c’est-à-dire de la somme qui avait été annuellement affectée, sur sa proposition, à l’amortissement. Un emprunt en rentes perpétuelles aurait trop fait ressortir l’inconséquence qu’on lui reprochait d’emprunter d’une main pour amortir de l’autre ; il n’en proposa pas. Il eut recours à un mode d’emprunt alors plus connu en France qu’en Angleterre, et dont Necker avait fait un grand usage, celui des tontines ou rentes viagères avec bénéfice de survivance. La combinaison qu’il adopta était une imitation de celle des trente têtes que Necker avait lui-même empruntée à la Suisse. Sans entrer dans les détails assez compliqués de cette opération financière, il suffira de dire que les termes en avaient été calculés sur les probabilités ordinaires de la vie humaine ; l’intérêt perçu par les souscripteurs devait croître à mesure des extinctions. C’était toujours un emprunt, mais viager, et qui ne chargeait pas indéfiniment l’avenir du pays.

Ce n’était pas tout. Le roi avait avancé sur sa liste civile, en 1787, une somme de 191,000 livres pour dépenses secrètes en Hollande. Pitt fit entendre que la plus grande partie de cette somme était un prêt fait au stathouder, qui serait remboursé à une époque fixe, mais éloignée. En attendant, il fallait rendre à la liste civile ce qu’elle avait avancé, et il proposa d’y pourvoir au moyen d’un second emprunt remboursable en dix-neuf ans par annuités, assurant qu’à mesure que les annuités seraient payées, elles seraient couvertes par des remboursemens égaux de la part de la Hollande. C’était donc en réalité près de 1,200,000 livres sterling qu’il s’agissait d’emprunter encore pour subvenir en pleine paix aux dépenses de l’année. Pitt fit valoir, pour expliquer cette contradiction avec ses assertions précédentes, qu’il y avait eu depuis 1786 beaucoup de dépenses extraordinaires qui ne se représenteraient plus. Ces dépenses, y compris l’indemnité des loyalistes américains, étaient évaluées dans leur ensemble à 1,500,000 livres sterling. En même temps, on avait racheté pour un million sterling par an de la dette nationale, c’est-à-dire en tout pour 100 millions de francs.