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— Grand Dieu ! dit Jolibois en se frappant le front, j’avais oublié cet épouvantable malheur.

— Hélas ! depuis cette soirée funeste, je n’ai jamais pu voir une chandelle romaine sans éprouver là quelque chose d’affreux.

— C’est bien naturel, ajouta Jolibois.

— Un si bel enfant ! reprit M. Levrault d’une voix étouffée ; si blanc, si blond, si rose ! un esprit si précoce ! une intelligence si vive !

— Ah ! monsieur, qu’ai-je fait ? s’écria Jolibois en prenant sa tête à deux mains par un geste de désespoir. Pardonnez à l’étourderie de mon zèle. Je vais donner des ordres pour qu’on ne tire pas le bouquet.

— Du tout, du tout, s’écria vivement M. Levrault en remettant son mouchoir dans sa poche ; je veux voir le bouquet.

— Mais, monsieur, c’est vouloir aggraver ma faute et prolonger votre supplice.

— Je veux voir le bouquet, répéta M. Levrault avec insistance. Je suis content, je le répète ; malgré ce souvenir douloureux, c’est le plus beau jour de ma vie. Voyons le bouquet, Jolibois.

Sur un signal de maître Jolibois, le bouquet s’alluma, et pendant quelques secondes M. Levrault put croire que tous les astres du firmament étaient descendus dans son parc. Sa large face, épanouie et radieuse, semblait faire partie du feu d’artifice. Laure, secrètement flattée, ne pouvait pourtant s’empêcher de sourire en pensant que c’était son père qui payait la poudre, et qu’en réalité la fête se donnait pour maître Jolibois. La soirée était fraîche. Comme ils se dirigeaient vers le château, ils virent, à la lueur des feux de Bengale qui brûlaient encore, un petit groom, haut comme une botte à l’écuyère, qui s’avançait à leur rencontre.

— Qu’est-ce ? que me veut-on ? dit M. Levrault de l’air d’un ministre qu’on dérange et qui n’a pas un moment à lui.

— C’est Galaor, dit maître Jolibois, je le reconnais.

— Galaor ! s’écria M. Levrault, qui ouvrait de grands yeux.

M. Levrault ? demanda Galaor en abordant avec assurance le groupe des promeneurs.

— Que lui veux-tu, l’ami ? c’est moi.

Galaor tira de sa poche une lettre, et la remit en silence à M. Levrault, qui tomba en arrêt sur un cachet armorié. C’était le premier qui passât par ses mains. Après avoir examiné les armes comme pour les reconnaître, il brisa la cire, et lut à haute voix ce qui suit, pendant que le jeune esclave présentait à Laure, qui déjà rougissait de plaisir, un énorme bouquet de roses et de jasmin :

« Le vicomte Gaspard de Montflanquin est impatient de savoir comment M. Levrault et sa fille ont fait le voyage. Il sollicite la faveur de se présenter demain, sur le coup de deux heures, au château de la