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volume ; mieux que ce livre, le récit que j’ai entendu sur l’azotea de la maison du Callejon del Arco vous rappellera à ma mémoire. On n’oublie pas si aisément de pareilles confidences, et c’est une bonne fortune assez rare que de rencontrer un roman tel que le vôtre à la place d’une consultation.

L’heure de retourner à Mexico était enfin venue. Sans attendre Pepito dont la journée allait probablement s’achever au cabaret, nous poussâmes nos chevaux à travers la campagne. La chaleur était encore plus étouffante qu’au départ. Nous arrivâmes bientôt en vue des collines que Pepito avait désignées au licencié. La troupe des vautours qui planaient sur des rochers semblait s’être grossie, et une odeur fétide arrivait jusqu’à nous avec les tourbillons de poussière chassés par le vent. Le licencié arrêta brusquement son cheval.

— Si vous étiez curieux de lire jusqu’à la dernière page le roman dont vous parliez tout-à-l’heure, me dit-il, je vous proposerais d’aller jusqu’à ces collines ; mais vous avez, je le crains, des nerfs un peu susceptibles.

— Et quel spectacle nous attend donc sur ces rochers ?

— Il y a là un cadavre, et vous voyez qu’en ce moment même les vautours en font curée. Un des trois misérables que j’avas chargés de poursuivre votre débiteur a payé pour tous les autres. Dieu est juste. L’homme qui est tombé sous le poignard de Peralta est l’assassin du Paseo de Bucareli. Le roman est bien complet, qu’en dites-vous ?

— Assurément, et la vue du cadavre que dévorent ces vautours n’ajouterait rien à l’impression que me laisse votre récit.

— Allons ! je vois qu’il faut ménager vos nerfs, répondit le licencié en piquant des deux son cheval. Retournons à Mexico.

Nous nous séparâmes sur la Plaza Mayor en nous promettant de nous revoir ; mais le sort en disposa autrement, et, peu de semaines après mon installation dans la maison cédée par Peralta, je dus quitter Mexico, pour commencer, à travers les villes et les déserts, la longue excursion dont j’ai raconté ici même quelques épisodes. À mon retour à Mexico, le tripot du Callejon était fermé, et l’évangéliste Tio Lucas, à qui je demandai des nouvelles du licencié, m’apprit qu’il était retourné en Espagne. Depuis cette époque, j’ai fait de vains effort pour recueillir de nouveaux renseignemens sur don Tadeo, et le dernier souvenir qui me soit resté de cet homme singulier est le manuscrit de Alonso Urbano, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de Paris.


GABRIEL FERRY.