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de moisissure qui s’en exhalait. Nous nous hâtâmes de faire pénétrer l’air et la lumière dans cette salle désolée, que des volets massifs et fermés tenaient dans une obscurité complète. De longues toiles d’araignées pendaient au plafond, aussi nombreuses et aussi serrées que les mousses desséchées qui flottent aux branches des cèdres de Chapultepec. Les armoires que nous visitâmes étaient complètement vides ; une seule contenait un gros volume à reliure antique et poudreuse, que le licencié prit sous son manteau après l’avoir rapidement examiné. Notre inspection était terminée. — Appelez des témoins, dit don Tadeo à Pepito, que nous avions érigé, dans cette occasion solennelle, en maître des cérémonies. Le lépero, majestueusement drapé dans sa manga bleue, s’avança aussitôt vers la croisée, et fit une allocution aussi courte que digne aux spectateurs en haillons réunis sous les fenêtres. L’éloquence de Pepito réussit au-delà de notre attente, et en peu d’instans la cour se trouva remplie d’un nombre de témoins fort supérieur à celui qu’exige la loi. Jamais je n’avais vu si riche collection de figures patibulaires. Nous descendîmes, précédés de Pepito, dans la cour, et de là suivis des témoins, nous passâmes dans le jardin. — Seigneurs cavaliers, s’écria Pepito d’une voix retentissante, vous êtes témoins qu’au nom de la loi le seigneur ici présent, — et Pepito me désigna, — prend régulièrement possession de cet immeuble. Dios y Libertad. — Don Tadeo s’avança à son tour. Sur son invitation, j’arrachai une poignée d’herbes que je jetai par-dessus ma tête, puis je lançai une pierre par-dessus le mur du jardin : c’était faire acte de propriété aux termes de la loi mexicaine. Un hourra général s’échappa aussitôt de la bouche des témoins. Il ne me restait plus qu’à remplir la dernière formalité imposée par l’usage, c’est-à-dire à faire acte de munificence envers les drôles qui étaient accourus de tous les coins du village pour me souhaiter la bienvenue. J’en fus quitte pour quelques piastres, que les témoins, conduits par Pepito, allèrent dépenser au cabaret voisin.

— Eh bien ! me dit le licencié quand nous fûmes seuls, vous voilà enfin rentré dans votre créance. Que pensez-vous de mon procédé pour faire rendre. Gorge aux débiteurs récalcitrans ?

— Je pense, don Tadeo, que vous jouez là un jeu bien dangereux, et, si j’ai un conseil à vous donner, c’est de renoncer le plus tôt possible à cette vie de redresseur de torts, où il me semble que la somme des pertes doit finir tôt ou tard par excéder celle des profits.

— Vous voyez cependant que j’ai assez de bonheur dans mes entreprises. Quoi qu’il en soit, dans le cas où quelque estocade viendrait prématurément y mettre obstacle, je veux que vous gardiez un souvenir de moi. Voici un livre qui n’a pas été compris dans l’inventaire de cette maison. L’ouvrage est ancien, et il a son prix.

— Je vous rends grace, dis-je au licencié en prenant le poudreux