Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/802

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de telles objections. Par son tempérament, il était ce que, de nos jours, on appelle conservateur. En théorie, il était républicain. Lors même que sa crainte de l’anarchie et son dédain pour les erreurs du vulgaire le portaient à se ranger pour un temps avec les défenseurs du pouvoir arbitraire, son esprit était toujours avec Locke et Milton. Ses plaisanteries sur la monarchie héréditaire étaient parfois telles qu’elles auraient mieux convenu à un membre du club de la Tête de Veau qu’à un conseiller privé des Stuarts. En religion, il était si loin du fanatisme, que des hommes peu charitables l’appelaient athée ; mais il se défendait vivement de cette imputation, et, au fond, bien qu’il prêtât quelquefois au scandale par la façon dont il exerçait son ironie sur des sujets sérieux, il ne semble pas avoir été incapable d’impressions religieuses.

« Il était le chef de ces politiques que les deux grands partis appelaient avec mépris politiques de bascule, trimmers. Au lieu de se plaindre du sobriquet, il l’assumait comme un titre d’honneur, et défendait, avec une grande vivacité la dignité de l’appellation. Tout ce qui est bon, disait-il, balance entre les extrêmes. La zone tempérée balance entre le climat où les hommes rôtissent et le climat où ils gèlent. L’église anglaise balance entre la démence anabaptiste et la léthargie papiste. La constitution anglaise balance entre le despotisme turc et l’anarchie polonaise. La vertu n’est qu’un juste tempérament entre des penchans dont chacun devient vice, si l’on s’y livre avec excès. La perfection de l’Etre suprême lui-même consiste dans l’exact équilibre de ses attributs, dont aucun ne pourrait dépasser les autres sans troubler l’ordre moral et physique du monde. Ainsi, Halifax était trimmer par principe ; il était aussi trimmer par la nature de sa tête et de son cœur. Son esprit était perçant, sceptique, inépuisable en distinctions et en objections ; son goût était raffiné, sa perception du comique exquise, son caractère pacifique et indulgent, mais d’une délicatesse dédaigneuse, aussi peu enclin à la malveillance qu’à l’admiration enthousiaste. Un tel homme ne pouvait être long-temps l’allié d’aucune confédération politique. Il ne fallait pas pourtant le confondre avec la foule vulgaire des renégats ; car, quoiqu’il passât comme eux d’un côté à l’autre, sa transition était toujours en sens contraire de la leur. Il n’avait rien de commun avec ceux qui courent d’un extrême à l’extrême opposé, et qui professent contre le parti qu’ils ont déserté une animosité bien plus violente que celle de ses adversaires conséquens. Sa place était entre les divisions hostiles de la communauté, et il n’en dépassait jamais beaucoup les frontières. Le parti auquel il appartenait dans un temps donné était le parti qu’à ce moment même il aimait le moins, parce qu’il le voyait de plus près. Aussi était-il toujours sévère pour ses alliés violens, et avait-il des relations amicales avec ses adversaires modérés. Chaque faction, au jour de son triomphe insolent et vindicatif, avait provoqué son blâme, et chaque faction, au jour de la défaite et de la persécution, l’avait eu pour protecteur. À son éternel honneur, il faut dire qu’il s’efforça de sauver les victimes dont le sort a laissé les taches les plus sombres sur le nom des whigs et des tories.

Il s’était fort distingué dans l’opposition et avait ainsi attiré sur lui le déplaisir royal au point qu’il ne fut admis au conseil des trente qu’avec beaucoup de difficulté et après de longues altercations. Aussitôt cependant qu’il eut un pied à la cour, le charme de ses manières et de sa conversation fit de lui