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un favori. Il était sérieusement alarmé de la violence des mécontentemens publics. Il pensait que la liberté était en sûreté pour le moment et que l’ordre et l’autorité légitime étaient en danger. Il se porta donc, suivant sa coutume, du côté le plus faible. Peut-être sa conversion ne fut-elle pas tout-à-fait désintéressée, car, quoique l’étude et la réflexion l’eussent émancipé d’une foule de préjugés vulgaires, elles l’avaient laissé encore esclave de vulgaires désirs. Il ne voulait pas de l’argent ; mais le rang et le pouvoir avaient pour lui un puissant attrait. Il affectait bien de ne considérer les titres et les grandes places que comme des amorces bonnes à prendre les sots, il affectait de haïr les affaires, la pompe, la représentation et d’aspirer au moment où il pourrait fuir le bruit et l’éclat de Whitehall pour les bois tranquilles qui entouraient son vieux château de Rufford ; mais sa conduite démentait ses paroles. À vrai dire, il voulait gagner le respect à la fois des courtisans et des philosophes ; il voulait être admiré pour avoir obtenu les hautes dignités et être admiré encore pour les mépriser. »


Halifax perdit honorablement la confiance de Jacques. Deux hommes qui sont l’expression la plus complète de l’immoralité du XVIIe siècle en Angleterre la gardèrent jusqu’à ce que l’heure de la catastrophe sonnât pour eux l’heure de la trahison : ce furent Sunderland et Churchill, qui devint plus tard le fameux duc de Marlborough.

Sunderland fut, après le renvoi de Rochester, le premier ministre de Jacques. Le changement de religion qui avait été la limitde la servilité de Rochester, n’avait rien coûté à Sunderland pour arriver à la première place. Sunderland avait commencé sa carrière dans la diplomatie ; il avait été ministre auprès de Louis XIV pendant plusieurs années ; il était revenu en Angleterre aussi libre de principes que de préjugés, disposé à servir toutes les causes au moment où elles triompheraient. Il avait le génie de l’intrigue et une séduction personnelle à laquelle il était difficile de résister. Il était peu riche et joueur. Ce qu’il aimait peut-être le plus dans le pouvoir, c’était l’argent ; il en prenait de toutes mains. Ministre des affaires étrangères d’Angleterre, il était pensionné par Louis XIV. Il connaissait parfaitement les hommes et les savait conduire par leurs faiblesses et par leurs vices. Son coup d’œil en politique était plutôt vif que vaste : il démêlait à merveille ce qui se passait auprès de lui ; il ne voyait pas de loin ce qui s’agitait dans les masses ou se préparait dans l’avenir ; aussi les grands événemens le prenaient-ils par surprise, et cela rendait ses variations politiques plus brusques et par conséquent plus choquantes. Lorsque les whigs avaient le dessus, il avait voté pour le bill d’exclusion contre le duc d’York Quand le duc d’York devint roi, il fut un de ses agens les plus prévenans et les plus souples. Il se fit catholique ; il attacha impudemment son nom aux mesures les plus impopulaires de Jacques II. Il n’aperçut la révolution qu’à la veille du jour où elle allait éclater ;