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Comme aussi nous ne pouvons nous accoutumer à voir jeter la pierre aux fortes institutions qui ont fait jusqu’ici l’unité intérieure et la vigueur concentrée de notre pays. Nous sommes d’avis que Paris a trop pesé sur la province, et souvent par la faute de la province ; nous avons toujours dit que les conseils-généraux de nos départemens étaient appelés à devenir la base d’une régénération vraiment nationale, non pas en créant une existence particulière pour chaque chef-lieu, mais en éveillant dans chacun une notion plus directe, une jouissance plus intelligente de cette vie commune, qui devrait circuler partout. Nous ne sommes donc pas d’humeur à prêcher, comme c’est aujourd’hui la mode, qu’il appartient désormais aux localités de réagir violemment sur le centre, où elles sont déjà représentées par une assemblée législative. Ce fractionnement, cet éparpillement de la souveraineté sur toute la surface du territoire français nous paraît une anarchie de plus vieille date, mais d’aussi mauvais effet que l’usurpation révolutionnaire de cette même souveraineté commise, selon le rite moderne, par une poignée d’émeutiers dans un angle de carrefour. Nous allons passer, à ce compte-là, pour des libéraux de l’espèce étroite, pour des politiques incomplets et bâtards ; nous prenons notre parti de déchoir dans l’opinion de ceux qui nous auraient supposé plus de profondeur ; le temps approche où il est bon que chacun soit à son rang et non pas à tel autre qu’on pourrait lui prêter.

Oui, nous l’avouons même, nous sommes très convaincus que nos idées de 89 périclitent par plus d’un endroit, que notre ancien constitutionalisme n’était pas inébranlable sur sa base ; nous apercevons cruellement ce qui manque à la solidité de notre édifice. Nous nous humilions donc dans notre tristesse ; nous n’adorons plus avec la même confiance, mais nous n’en sommes pas à briser ce que nous adorions, pour adorer ce que nous avions brisé. Les apôtres qui nous sollicitent à nous convertir ne nous mettent pas le moins du monde en goût de conversion. Ecoutez-les plutôt dans leur sagesse ; la leçon n’est pas longue : « Les Russes vont s’entendre avec la Prusse et l’Autriche ; le cordon sanitaire du haut conservatorisme européen va resserrer de plus en plus la France ; d’ici à deux mois, il ne restera ni assemblées délibérantes ni libertés publiques, soit en Piémont, soit en Allemagne, soit en Prusse ; hourrah ! Quant à la France, les conseils-généraux, envahissant les grands rôles, se constitueront en autant de foyers politiques qu’il y a de départemens, et l’on verra bien finir alors l’odieuse centralisation ! » Que verra-t-on finir encore, demanderons nous ? Qu’importe ? On écrit ce bon français quelque part trois ou quatre fois la semaine ; on signe un diplomate, un homme d’état, et tout est dit. Ce n’est pas encore de quoi nous séduire.

Les vrais hommes d’état cependant, ceux qui nous restent, se tiennent beaucoup plus tranquilles. Ils ne veulent pas voir de si loin, et ils ne se réjouiraient pas si fort de contempler tout cet éboulement en perspective. Ils laissent aux ardelions, aux faiseurs et aux esprits pointus ce patriotisme équivoque, ces combinaisons à vague portée, ces espérances extraordinaires, cette méditation turbulente dans le vide ou dans le mal. Ils connaissent trop la mobilité des événemens et la banalité des affections populaires, pour ne pas savoir que la meilleure manière d’être utile à ce pays-ci, c’est de lui faire tout le bien qu’on peut en raison du goût qu’il a pour le quart d’heure où l’on est. Les révolu-