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tions lui viennent si vite d’elles-mêmes, que ce n’est pas la peine de les lui préparer ; mieux vaut s’appliquer en conscience dans les intervalles à guérir les maux qu’elles amènent. Il nous semble que ce soit là toute la politique de ces personnes éminentes auxquelles la France se reporte toujours, quand elle se préoccupe du soin de son salut. M. Thiers, M. Molé, M. le duc de Broglie, M. Berryer lui-même, gardent sans doute des prédilections et des souvenirs. Qui est-ce qui jurerait maintenant que ce qui existe aujourd’hui existera demain ? Mais il est plus pratique, plus digne d’intelligences droites et actives de travailler patiemment à guérir aujourd’hui le mal par la médecine ordinaire, plutôt que de renvoyer à demain pour fabriquer un miracle. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ces personnes-là ne conspirent pas (le mot est revenu comme au temps de Pitt et Cobourg), et quand à la queue de tous les partis on se rejette réciproquement cette niaise accusation de complot, il est du moins consolant de voir la sérénité qui règne à la tête. M. le duc de Broglie est à son conseil-général, M. Thiers se repose à Dieppe dans ses études favorites, M. Molé a bien voulu tranquilliser par un billet spirituellement ironique les faiseurs de nouvelles qui s’inquiétaient de le voir si retiré dans sa maison de Champlâtreux. Enfin, M. Berryer déplore assurément, avec la dignité même du silence où il a su se renfermer, les escapades puériles des néophytes maladroits qui compromettent à plaisir sa vieille cause.

Nous avons un respect véritable pour l’opinion dite légitimiste ; nous la considérons comme un des grands élémens d’ordre et de sécurité qui restent encore à notre malheureux pays ; elle offre par elle-même à la société des garanties qui ne seront jamais plus estimées ni plus précieuses que lorsqu’on ne soupçonnera point en arrière de vues intéressées. Telle est en effet la condition singulière du parti presque entier, qu’il peut exercer une influence capitale en toutes choses, tant qu’il ne prétend point l’accaparer pour l’avènement exclusif de son drapeau. La France lui permet, et de bonne grace, de peser d’un grand poids dans toutes les questions fondamentales qui intéressent la religion, la famille, la propriété ; elle sent d’instinct, aujourd’hui plus que jamais, que les traditions sur lesquelles ce parti repose lui sont comme un lest nécessaire au milieu du flux et du reflux de ses tourmentes. Contre l’empire arrogant des théories absolues qui naissent et disparaissent avec ses orages, la France en masse ne répugne pas à s’appuyer sur ce qu’il y a d’éternellement vrai dans les doctrines traditionnelles, dont les légitimistes se croient par excellence les interprètes et les gardiens ; mais que les mêmes hommes prononcent un nom, rêvent tout haut un changement politique plus à leur convenance, aussitôt le charme est rompu. Ceux auxquels on aimait à se recommander dans l’intérêt social de tous, on s’en éloigne, on les repousse dès qu’on les voit au service de leur propre intérêt politique. Il ne s’agit pas de discuter si cela est équitable ; il a seulement à dire que la France est ainsi faite, et il y a sans doute de raisons à cela.

On sait donc un gré infini aux légitimistes d’être un parti contemplatif : ils gagnent même par là beaucoup de gens à leur contemplation ; ils ont mis et mettront toujours tout le monde contre eux, lorsqu’ils voudront être un parti actif. Voilà ce qu’on n’ignore pas, quand on a blanchi sous le harnais comme M. Berryer, et l’on se conduit, soi et les siens, en conséquence. Que fait-on