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CARACTÈRES ET RÉCITS.




LA COMÉDIENNE.




I

Miss Jane était une terrible créature ; c’était en même temps Corinne et Manon. Je l’ai vue pour la dernière fois, il y a quatre ans, un soir où elle jouait Desdemona au théâtre de Covent-Garden. Ce soir-là tout le monde disait qu’elle était à l’apogée de sa beauté aussi bien que de son talent. Miss Jane avait été créée pour prouver que tous les yeux bleus n’ont pas la pureté, la tendresse, l’honnête et calme douceur d’un ciel printanier. Il n’est pas d’yeux noirs que je n’eusse défiés de l’emporter sur les siens en ardens et inquiétans mystère. De même ses cheveux blonds n’étaient pas de ceux qui se marient à la blancheur du lin, dont l’éclat a je ne sais quoi de frais et de virginal ; c’étaient des cheveux pleins de chaude lumière, comme ceux que fait tomber Giorgion sur les chairs vivantes de ses femmes. Moi, j’ai toujours pensé que Desdemona méritait un peu d’être étranglée par Othello. Évidemment, il y avait dans son ame et dans son corps ce brûlant secret de volupté perfide, que toutes les vraies filles d’Ève possèdent pour notre joie et notre tourment. On sentait dans la Desdemona de Covent-Garden tout ce qui explique l’amour et la fureur du Maure. Ce qui a inspiré à Shakspeare sa plus magnifique expression, ce mystérieux et dangereux attrait des femmes et de l’onde, triomphait dans chacun de