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— Et, prenant William par la main : — J’ai l’honneur de vous présenter, miss Jane, mon jeune ami sir William Simpton. Aussi distingué par son talent que par sa naissance, sir William…

— Monsieur Simpton, interrompit miss Jane en tendant la main à l’artiste avec un laisser-aller où se mêlaient deux puissans attraits : l’étourderie capricieuse d’une jolie femme et la grace expansive d’une actrice ; monsieur Simpton, vous me connaissez, je l’espère, et je vous connais aussi. Sautons la préface de Peter Croogh, et commençons tout de suite le livre d’amitié. Tenez, pour que je voie d’abord votre façon de me juger, dites-moi à qui vous donnez raison de ces messieurs ? Il s’agit de savoir si je vaux mieux quand je suis moi-même ou quand je suis un personnage de Shakspeare. Le duc de Norforth, que j’ai soupçonné toujours d’être très illettré, m’aime mieux quand je suis miss Jane. Je plais plus à lord Damville, dont vous connaissez bien certainement le goût pour les lettres, quand je suis Juliette ou Ophélie.

— Eh ! miss, dit Simpton, sur la scène ou hors de la scène, faisant tourner des milliers de têtes ou n’en faisant tourner que deux ou trois, vous êtes toujours vous-même. Ce n’est pas Shakspeare qui vous anime, c’est vous qui animez Shakspeare. La rêverie candide d’Ophélie, la mélancolique tendresse de Juliette, vous les avez, comme vous avez cet entrain plein de charme que je ne connaissais pas, mais que je vais me mettre à adorer.

— Ah ! sir William, nous autres, reines de théâtre, nous sommes donc aussi malheureuses que les véritables reines. Ce n’est pas un ami, c’est un flatteur que vous m’avez amené, Peter Croogh.

Puis, quittant les notes tendrement boudeuses que sa voix venait de prendre, elle ajouta d’un ton de fantasque et hardi enjouement : — Eh bien ! je l’avouerai, quand ils flattent bien, j’aime les flatteurs. Voilà qui est convenu ; je me crois fort au-dessus de Shakspeare.

— Et vous avez raison, miss Jane, repartit Simpton du même ton ; ce qui est bien certain, c’est que j’ai beaucoup plus de plaisir à me trouver avec vous que je n’en aurais eu à me rencontrer avec ce garçon boucher.

Évidemment, Simpton réussissait auprès de miss Jane. Aux façons intelligentes, capricieuses, quand il le fallait enthousiastes d’un véritable artiste, il joignait une désinvolture native de grand seigneur à faire envie au beau Lionel. Du reste William n’avait pas grand’peine à briller entre le duc de Norforth et lord Damville. Lord Damville s’aimait beaucoup et il n’avait pas complètement tort, car il était plein de bonnes qualités. Il était d’un caractère doux, d’une humeur obligeante ; il pensait sur les autres comme sur lui-même une infinité de choses agréables qu’il n’éprouvait aucun embarras à dire. Voilà, avec une fortune assez considérable, de la naissance et de l’élégance, ce qui