de respect, de considération, de réputation qu’il mérite, et laissons-le reposer. Il n’est plus de notre temps. En citant Colbert, on n’a pas réfléchi que Colbert avait été quinze ans ministre, avec l’assurance de l’être toute sa vie ; on n’a pas réfléchi qu’il n’y avait point alors en France de chambre ou d’assemblée pour harceler les ministres et leur faire perdre la meilleure partie de leur temps. Que l’on donne à la marine un ministre, même médiocre, assuré d’occuper son poste pendant quinze ans, comme l’a occupé Colbert, avec injonction de ne rendre compte qu’au chef du gouvernement, comme le faisait Colbert, de ne recevoir d’impulsion que de lui, comme la recevait Colbert : ce ministre fera aussi mœurs, les usages, les formes de gouvernement ont changé depuis ; il faut en subir les conséquences et ne plus comparer entre elles des époques si différentes. Nous sommes malheureusement voués à l’instabilité, depuis le fonctionnaire le plus infime jusqu’au chef suprême du gouvernement ; c’est le fait des institutions que nous nous sommes imposées. Il faut vivre avec nos infirmités gouvernementales, les accepter franchement, et oublier une époque et des institutions qui sont en opposition directe avec l’époque et les institutions actuelles.
En citant Colbert, on a dit avec emphase que Louis XIV se faisait rendre compte très régulièrement, à chaque instant, pour ainsi dire, de l’état de ses arsenaux, de ses escadres, de chacun de ses bâtimens, comme si de semblables comptes n’étaient pas, de nos jours, dressés dans chaque arsenal, dans chaque escadre, sur chaque bâtiment, puis centralisés annuellement au ministère. On voudrait peut-être les avoir mensuellement, hebdomadairement, quotidiennement même : ce serait facile ; enrôlez trois cents commis de plus, doublez le nombre de vos presses, multipliez encore, pour cette petite satisfaction, les formes administratives que vous trouvez déjà trop complexes, et chacun aura à chaque instant sous les yeux l’état, — qui ne peut d’ailleurs jamais être qu’approximatif, tout comme ceux que recevait Louis XIV, — l’état, qu’on demande si avidement, de chaque arsenal, de chaque escadre, de chaque bâtiment. On pourra le consulter, l’éplucher à loisir ; mais, on peut l’affirmer d’avance, les plus intelligens même y comprendront peu de chose. Il n’y aurait en vérité que gaspillage d’argent et de temps à prétendre contenter de semblables exigences. Félicitons-nous jusqu’ici. Tous les documens existent à l’administration centrale ; ils sont même si nombreux, qu’il commence à être difficile de les coordonner ; on les trouvera là quand on voudra les consulter, et en les étudiant, si on a la patience de le faire avec conscience, on sera mieux éclairé, qu’on en soit convaincu, que par les renseignemens incohérens et incomplets empruntés à quelques subalternes mécontens.