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deviennent des réalités ; les forces et les esprits de la nature ont été évoqués, et maintenant ils se promènent à travers le monde, refusant de rentrer dans leurs demeures.

D’où provient cet effacement lent, mais ininterrompu de la réalité cet oubli de la vie, cet aspect morne des événemens sortis de la révolution de février ? N’avez-vous jamais été frappés de cette teinte grise qui se répand comme un brouillard sur les choses de ces dernières années ? Un seul événement fait exception. Ce sont les journées de juin, qui avaient l’air de se passer au milieu des brûlans déserts du Sahara. Il y aurait à traiter un point fort original de météorologie révolutionnaire et de physiologie politique. Il y a déjà bien long-temps qu’Henri Heine prétendait, en parlant des révolutions, que les ardeurs de l’été étaient nécessaires pour les faire éclore. Cette théorie a été démentie par l’expérience, comme toutes les théories La révolution de février s’est accomplie avant même que les lilas eussent commencé à fleurir, et elle a répandu ses odeurs de poudre sous un ciel pluvieux et dans des rues boueuses. Mais alors une nouvelle question s’élève : la température imprime-t-elle aux révolutions son caractère ? la saison où elles s’accomplissent leur donne-t-elle sa couleur ? Cette hypothèse nous paraît démontrée par les faits. Voyez les deux dernières révolutions, le 29 juillet et le 24 février. Il faisait un bien beau soleil en juillet 1830, et aussi n’y a-t-il jamais eu en France autant d’enthousiasme, autant d’ardeur, autant d’élan vers toutes choses qu’à cette époque. Les débats y sont passionnés, les œuvres littéraires pleines de couleur, les mœurs d’une liberté inouie et d’une nudité telle qu’il convient à une époque de chaleurs. Tous-les esprits qui sont sortis de cette révolution ont gardé un rayon de son soleil ; les folies même, — certes il y en avait, — ne ressemblent pas à nos folies sombres d’aujourd’hui ; elles sont d’une richesse inouie, et, à défaut de vérité, elles sont singulièrement agaçantes, enivrantes, voluptueuses. Comparez le saint-simonisme au communisme, la littérature d’alors à celle d’aujourd’hui, l’agitation politique d’alors à nos craintes et à nos alarmes. Tout y est chaud, coloré, plein de reflets et de chants ; c’est une véritable révolution d’été ; il y a des espérances sans fin, des mirages qui se dessinent dans une atmosphère brûlante, des perspectives, d’âcres parfums, des désirs. Au contraire, il faisait un temps bien affreux lorsque la révolution de février est arrivée. Il y avait des brouillards dans l’air, de la boue dans les rues, de l’incertitude dans les esprits. On dirait que les événemens s’en sont ressentis, il n’est rien sorti de cette révolution : les caractères sont pleins de lassitude, les esprits sont épuisés, Un brouillard pareil à ceux qu’exhale la Seine empêche de reconnaître son chemin ; on se heurte sans se reconnaître, on marche sans savoir où ; pendant six mois, les assemblées ont balayé et remué