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à des tracasseries d’étiquette de cour. Une amie de Stanislas-Auguste, qui même s’était rendue à Varsovie en qualité d’ambassadrice de la philosophie, Mme Geoffrin, donne une explication de la haine vouée par Choiseul à Poniatowski. Elle l’attribue, à une anecdote de famille. La nomination de la Pologne au cardinalat avait été donnée à l’évêque de Noyon (Broglie) préférablement à l’archevêque de Cambrai (Choiseul) ; mais cette présidente d’un bureau d’esprit, qui se croyait femme politique, pouvait seule se payer d’une explication aussi frivole[1].

Enfin, quelques fussent ses motifs, Choiseul montra un singulier mélange d’aversion active contre la Russie et d’amitié paresseuse pour les Polonais. À peine écrivait-il à Durand et à Gérard, ses agens, et, quand il daignait s’y résoudre ; il ne leur parlait que des jésuites. Sa mobilité l’entraînait autant que sa colère. Pendant qu’il prodiguait l’injure à son ennemie dans ses dépêches et qu’il y compromettait plus encore la sagacité de l’homme d’état que le bon goût de l’homme du monde en refusant à Catherine la capacité la plus ordinaire, l’admiration le ramenait à la justice et lui faisait reconnaître, quoiqu’à regret, la grandeur à travers la haine. « Le véritable objet de l’impératrice de Russie, écrivit-il un jour, est de soutenir par la force sa considération extérieure pour maintenir l’intérieur, d’acquérir la renommée d’une grande et forte princesse, de dominer sur toutes les puissances du Nord. Ce projet, qui est grand et l’on peut dire glorieux, est presque exécuté[2]. » Catherine, de son côté, rendait justice aux talens de Choiseul et le jugeait avec beaucoup de sang-froid. Malgré cette équité réciproque, l’aversion l’emporta. Pour dénoncer les hostilités à l’impératrice de Russie, sans lui déclarer la guerre en forme, ce qui n’entrait pas dans les intentions de Louis XV, le duc de Choiseul profita de la mort de M. de Bausset, ministre de France à Pétersbourg ; afin de ne pas lui donner de successeur, il imagina d’entamer une rupture politique par une critique grammaticale.

L’académie française, ou du moins quelques-uns des membres de cette compagnie, amis particuliers de M. de Choiseul, déclarèrent que l’expression majesté impériale n’était pas conforme au génie de la langue, que les rois de France, prenant le titre de majesté sans y ajouter aucune épithète, ne pouvaient accorder ce surcroît de qualification à personne. Catherine, peu curieuse de philologie, se tint à l’étiquette adoptée jusqu’alors, et il en résulta que les deux cours ne s’envoyèrent plus de plénipotentiaires, et ne se firent plus part des événemens qui les regardaient personnellement, tels que naissances, mariages ; à Pétersbourg

  1. Correspondance secrète de Louis XV.
  2. Choiseul à Rossignol. Versailles, 1er juillet 1767. — Archives des affaires étrangères.