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les subsides de la France, mais (à d’honorables exceptions près) les appliquant à toutes les recherches, à toutes les folies d’un luxe effréné[1]. Par un contraste bizarre, les mœurs d’une société en décadence s’alliaient aux excès d’une superstition digne du moyen-âge. À Czenstochowa, lieu célèbre, moitié forteresse, moitié monastère, situé près de Cracovie, au milieu des forêts et au pied des montagnes, les confédérés jurèrent la mort de Stanislas-Auguste, en faisant bénir leurs sabres et leurs poignards par des moines, devant une madone miraculeuse : appareil qui, en d’autres temps, aurait provoqué de sauvages sympathies, mais qui, en plein XVIIIe siècle produisit un effet de surprise et de dégoût.

Dans cet intervalle, le duc de Choiseul succomba sous les efforts redoublés de ses ennemis. Sa disgrace fut un triomphe pour lui ; sa chute couvrit sa renommée. Il l’avait compromise dans les derniers temps de son ministère par de grandes fautes politiques qui avaient amené ou du moins hâté le partage de la Pologne. Plus tard, on fait dire à Louis XV : Ah ! si Choiseul était encore ici ! Ce mot est incompréhensible ; il ne peut avoir été prononcé. Le roi savait trop bien ce qui en était. L’embarras dans lequel les entreprises aventureuses de M. de Choiseul l’avaient jeté avaient contribué au renvoi de ce ministre, pour le moins autant que les intrigues de Mme Du Barry et du duc d’Aiguillon ; mais le public ne vit que ces lâches et viles manœuvres : il crut, il voulut croire au prétendu regret de Louis XV ; il voulut voir dans le ministre tombé, non la victime d’un système politique, mais celle d’une révolution de sérail. On oublia les fautes de M. de Choiseul, qui d’ailleurs étaient alors peu connues ; on ne lui tint compte que de ses vertus patriotiques. Ce fut justice, car ce ministre aimait vraiment la France ; il savait ce que pèse son nom ; il sentait vivement le bonheur, le plaisir, l’honneur insigne de la servir et de lui plaire. Ce qui honorera toujours le duc de Choiseul, c’est qu’au XVIIIe siècle il fut du petit nombre de ceux qui n’avaient pas encore perdu le sentiment et l’intelligence de ce mot divin : patrie !

  1. « Le tout formait 16 17,000 hommes sous huit ou dix chefs indépendans, sans accord, se méfiant les uns des autres, quelquefois se battant entre eux ou au moins se débauchant leurs troupes mutuellement. Cette cavalerie, toute composée de nobles égaux entre eux, sans discipline, sans obéissance, mal armée, mal montée, bien loin de pouvoir résister aux troupes réglées des Russes, était même bien inférieure aux Cosaques irréguliers. Pas une place, pas une pièce d’artillerie, pas un seul homme d’infanterie. » Vie de Dumouriez (collection des Mémoires sur la révolution), tome I, page 171.