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de l’univers, car son attitude fut celle d’une humiliation douloureuse. Elle versa des larmes sur le sort de la Pologne. Inquiète de l’opinion de ses amis, elle força le prince de Saxe-Hildurghausen à rompre un silence qu’il s’était promis de substituer désormais à des conseils mal écoutés. Le prince la supplia de ne pas l’exposer à lui manquer de respect par une appréciation équitable des derniers événemens ; mais enfin il se rendit aux instances de l’impératrice-reine, et profita d’une position indépendante pour ne point ménager les termes. « Oui, lui répondit cette princesse après l’avoir bien écouté j’ai été séduite, entraînée ; ma situation est cruelle, le chagrin me tue : ma seule consolation est dans la droiture de mes vues, dans la constance de mes efforts pour empêcher un résultat auquel j’ai été obligée de prendre part[1]. » Elle ne tint pas un autre langage à M. de Rohan. On l’a taxée généralement d’hypocrisie. Cette appréciation est trop sévère. Une scène courte, mais caractéristique, racontée par hasard dans une lettre officielle, jette une vive lumière sur Marie-Thérèse, caractère complexe, mélange de dignité, de vertu et d’artifice. « J’ai sept petits-enfans, dit-elle un jour au comte de Barck, ministre de Suède ; Marie-Thérèse est heureuse, l’impératrice-reine ne l’est pas ; j’ai de cruels chagrins, comte de Barck ; vous ne pouvez les ignorer ; ils sont d’une nature très sensible et portent sur un sujet trop délicat… » (Elle parlait de l’empereur Joseph.) Puis elle dit avec le ton animé, la parole brève et pressée d’une personne qui ne peut contenir son ame : « Comte de Barck, l’affaire de Pologne me désespère… C’est une tache à mon règne !… — Les particuliers, reprit le ministre étranger, n’ont point à prononcer en ces matières ; les souverains ne doivent de compte qu’à Dieu. » L’impératrice était assise, elle se leva précipitamment, leva la main au ciel et s’écria : « C’est aussi celui-là que je crains… » C’était une situation violente pour un diplomate. Le Suédois se serait passé de cette confession. Interdit, embarrassé, il exprima en balbutiant le vœu modeste de voir ces débats terminés. « Oui, reprit tranquillement l’impératrice, tout-à-fait remise de son trouble, cela finira, je crois, avec l’uti possidetis[2]. »

Marie-Thérèse est là tout entière. Le premier mouvement est d’une ame pieuse, morale, sensible, capable d’un remords ; le second appartient tout entier au génie tenace de sa maison. Catherine II se trouvait dans une situation bien différente. Des larmes, des regrets, n’étaient ni dans son caractère, ni dans son rôle. Maîtresse de la Pologne par l’exercice d’une influence exclusive, elle n’en avait pas désiré le partage ; mais dés que ce partage était devenu une nécessité pour elle, dés qu’il y eut

  1. Rohan à d’Aiguillon, 28 mai 1772.
  2. Rohan à d’Aiguillon, 9 novembre 1772.