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sidérer comme le but suprême de la destinée humaine. Ces paroles de la marquise ne tombaient pas dans l’oreille d’un sourd. Encouragé par l’intérêt que lui témoignait sa compagne, M. Levrault ouvrit les digues de son cœur, et laissa couler à grands flots tous les secrets enfermés dans son sein. Entraîné par le courant, il se livra à des épanchemens immodérés ; il raconta naïvement quel espoir charmant l’avait amené en Bretagne, quelles déceptions amères il avait essuyées. La marquise semblait suspendue à ses lèvres ; de temps en temps, par un mouvement d’irrésistible sympathie, sa belle main blanche et potelée se posait sur la grosse patte de l’ancien marchand de drap, qui prenait alors des airs de vainqueur et se demandait avec une adorable fatuité ce que devait penser Mme Levrault, si la digne femme voyait, du haut du ciel, ce qui se passait en cet instant au fond du parc de la Trélade. Quand il eut achevé le récit de ses infortunes, la marquise resta silencieuse, et parut méditer profondément sur tout ce qu’elle venait d’entendre.

— Mon ami, dit-elle enfin avec gravité, je comprends, j’approuve la pensée qui vous a conduit en Bretagne. Votre ambition n’avait rien dont personne dût s’étonner ; pour ma part, je ne connais pas de maison qui ne s’empressât de s’ouvrir devant vous, qui ne s’estimât heureuse et fière de recevoir à son foyer l’ange que Dieu vous a donné pour fille. Ce que j’ai peine à m’expliquer, quand bien même je mets de côté la moralité de M. le vicomte de Montflanquin, c’est que vous vous soyez adressé à la noblesse fraîchement ralliée, au lieu de tendre votre main loyale à cette aristocratie chevaleresque dont rien n’a pu entamer la foi, et qui s’obstine à bouder le présent au fond de ses châteaux solitaires.

À ces mots, M. Levrault dressa les oreilles. Il n’avait pas oublié les avertissemens de Jolibois. Où la marquise voulait-elle en venir ? Dévoué corps et ame au trône de juillet, à l’ombre duquel il espérait croître en puissance, qu’il regardait comme son trône à lui, comme son bien, comme sa propriété, le grand industriel n’était pas disposé le moins du monde à mettre ses millions au service de la légitimité ; il se tint prudemment sur ses gardes.

— Madame la marquise, répliqua-t-il avec réserve, je ne saisis pas bien, je ne m’explique pas moi-même…

— Vous allez me comprendre, reprit la marquise d’un ton de douce autorité. Depuis deux mois, je vous observe, je vous étudie. Aucune des grandes questions qui agitent les sociétés modernes ne vous est étrangère ou indifférente ; c’est ma conviction, vous avez en vous l’étoffe d’un homme d’état. — Quelle était votre pensée en recherchant l’alliance d’une famille aristocratique ? Votre cœur, votre esprit généreux, n’obéissaient-ils qu’à un sentiment d’égoïsme ? Non, mon aimable