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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/349

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SACS ET PARCHEMINS.

ami. Vous pensiez, avant toutes choses, à rapprocher deux classes trop long-temps divisées, à donner l’exemple de l’oubli, du pardon ; vous vouliez, en un mot, consommer l’union de la noblesse et de la bourgeoisie.

— C’est la vérité, madame la marquise, je ne m’en défends pas, répondit M. Levrault avec une modeste assurance.

— Eh bien ! mon ami, pour atteindre le but élevé que vous vous proposiez, était-ce à la noblesse déjà ralliée, déjà réconciliée avec les institutions nouvelles, que vous deviez vous adresser ? Ne comprenez-vous pas qu’une alliance entre elle et vous eût été sans portée, sans signification, sans valeur aucune aux yeux de l’avenir ? que ce n’eût été qu’une espèce de superfétation, un pléonasme, un stérile échange d’influences, d’intérêts, de passions identiques ? Comprenez-vous enfin qu’au lieu de chercher à planter votre drapeau sur une forteresse déjà réduite, au lieu d’entrer en conquérant dans un pays déjà soumis, vous deviez tourner vos regards vers cette noblesse ennemie dont je vous parlais tout à l’heure ? Il en est temps encore. Quel triomphe pour vous, quel honneur d’arracher quelque jeune Achille de sa tente, de restaurer l’éclat d’une maison qui menaçait de laisser un vide dans l’histoire, de rendre à la vie publique un des grands noms de l’ancienne monarchie, de rallumer au ciel de la France une de ses étoiles qu’elle croyait disparue pour toujours ! Au point de vue de vos ambitions personnelles…

— Oui, madame la marquise, au point de vue de mes ambitions personnelles ? demanda M. Levrault, médiocrement charmé jusqu’à présent des perspectives, très confuses d’ailleurs, qui s’ouvraient devant lui.

— Eh quoi ! monsieur, s’écria la marquise, vous n’entrevoyez pas les avantages d’une pareille alliance ? vous ne sentez pas qu’en mariant votre adorable fille dans une des grandes familles demeurées fidèles au culte du passé, vous assurez votre fortune politique ? C’est bien simple pourtant. Vous ralliez votre gendre, vous attachez à la couronne de juillet un fleuron dérobé à celle de saint Louis. Cela fait, pensez-vous que la nouvelle cour ait quelque chose à vous refuser ?

— Mais, madame la marquise, s’écria M. Levrault, qui avait tressailli comme un coursier généreux au son du clairon, l’aristocratie dont vous parlez est bien trop entêtée,… trop chevaleresque, ajouta-t-il se reprenant avec respect, pour adhérer jamais au gouvernement de 1830. Si elle s’est obstinée jusqu’ici à bouder au fond de ses châteaux solitaires, ce n’est pas moi qui réussirai à l’en tirer ; ce n’est pas entre mes mains qu’elle abjurera ses rancunes et ses croyances.

— Mon ami, dit en souriant la marquise, on se lasse de tout, même de l’ennui. L’ennui est un rude maître qui a déjà dompté bien des