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et purement routinière, qui aboutirait à en graver tout au plus quelques mots dans le cerveau, sans familiariser l’esprit avec leurs richesses cachées, une étude de la littérature écourtée, qui après avoir mis l’instrument entre les mains, n’apprendrait pas à s’en servir sans se blesser, c’est bien cela qui serait véritablement du temps et de la peine perdus. Ce n’est pas cela tout-à-fait assurément, ni pour tout le monde, qu’est notre éducation classique ; mais c’est trop souvent, et pour trop d’élèves, quelque chose d’approchant.

Je voudrais poser, en effet, la question sérieusement, la main sur la conscience, et toute diplomatie de profession mise à part, à un professeur de rhétorique intelligent. Dans cette dernière classe de nos collèges, couronnement de notre enseignement classique, combien compte-t-il d’élèves en état de profiter de ses leçons ? Pour combien d’élèves parle-t-il ? De combien espère-t-il être compris ? En mettant, sur une classe de soixante élèves, le nombre à trente environ, je crois qu’il pousserait les choses à l’extrême. Il suit de là qu’il y a, sur la masse des élèves des collèges de France, la moitié, au plus bas mot, qui les quitte, n’ayant, de leur aveu, de celui de leurs condisciples et de leurs maîtres, assisté que pour la forme aux leçons qui leur ont données. On dira, si l’on veut, que c’est la faute des professeurs, qu’ils ont tort de négliger les esprits lents, les caractères paresseux, pour ne s’occuper que des sujets brillans qui leur font honneur, On dira qu’ils mettent leur vanité avant leurs devoirs, et il y aura quelque vérité, malheureusement, dans ces reproches ; mais il y aura aussi beaucoup d’injustice. Après tout, un professeur de rhétorique n’est pas un professeur de grammaire ; il donne le complément des études et n’est pas chargé d’enseigner les élémens. Si, parmi les jeunes gens qui viennent recevoir ses leçons, il en est qui ne se soient jamais donné la peine d’apprendre les temps des verbes ni les déclinaisons des mots, il ne peut pas plus interrompre une explication de Démosthène ou de Cicéron, pour revenir sur ces notions primitives, que M. de Laplace, dans sa chaire, ne pouvait suspendre le calcul des probabilités pour démontrer les quatre règles à ceux qui les ignoraient. Une génération de jeunes gens qu’on élève est comme un régiment en campagne : le temps presse, la vie s’avance ; coûte que coûte, il faut marcher. On ne peut pas arrêter toute la colonne pour les retardataires qui s’asseient au bord du chemin. La faute, s’il y a faute, est donc autant aux élèves qu’aux professeurs. Parlons plus correctement, elle est à l’éducation littéraire elle-même. C’est sa faute, si c’en est une, d’être ainsi faite, que, pour être goûtée et suivie malgré ses débuts arides, elle exige un certain instinct du beau, une certaine délicatesse de pensée, une certaine finesse de sentimens qui ne sont le partage que d’un petit nombre. Parmi les éducations de l’intelligence, il n’en est