rétablir l’ordre à un chemin de fer dont les ouvriers, pour se conformer à l’évangile de M. Louis Blanc, prêchaient le fusil à la main, au lieu de gagner leur salaire en travaillant. La garde mobile bivouaquait sous la gare. Voilà le commandant Cipollina qui imagine de se lancer à cheval au milieu des rails. Un convoi arrivait à toute vitesse. Ses hommes, qui l’adoraient, lui criaient : « Commandant, commandant, prenez garde à vous ! » Je vois encore sa bonne contenance, sa grande aigrette. Son cheval fit à propos un bond qui empêcha l’homme et la bête d’être broyés. Je sus gré à Cipollina de cette folie dont les mobiles furent charmés.
Cipollina eut la poitrine traversée d’une balle près d’une barricade que ses soldats enlevèrent quelques instans après sa mort, et où périt le capitaine adjudant-major du 16e bataillon, brave jeune homme qui tomba en franchissant l’obstacle le premier. Dans le 20e bataillon, la moitié du corps d’officiers fut mise hors de combat, et par des blessures qui presque toutes furent mortelles. Nos hommes se montrèrent au-dessus de tout éloge. Le général Lamoricière les appelait ses zouaves. Je doute qu’aucune troupe ait atteint jamais leur entrain. C’étaient de merveilleux tirailleurs. Avec leur intelligence et leur agilité parisiennes, ils s’embusquaient partout où ils pouvaient faire un feu sûr et meurtrier. On en voyait sortir des cheminées et ramper le long des gouttières. Les émeutiers avaient trouvé leurs maîtres. Nos balles les atteignaient dans leurs barricades et à leurs croisées ; où les balles n’allaient point, les mobiles allaient eux-mêmes. Un enfant de seize ans se fit descendre par ses camarades, à l’aide d’une corde, dans une cave d’où partaient des coups de fusil.
Ce fut le vendredi soir à cinq heures que le bataillon dont je faisais partie entendit pour la première fois le canon. Nous étions à l’Hôtel-de-Ville ; le canon grondait sur le quai à quelques pas de nous. Au moment où éclata le feu des batteries, nos hommes avaient leurs fusils en faisceaux et mangeaient la soupe du soir ; tous, d’une même voix, entonnèrent la Marseillaise. À partir de cet instant, l’enthousiasme et la gaieté furent dans nos rangs. Cependant une fenêtre s’ouvrit dans la cour de l’Hôtel-de-Ville, au plus fort des chants dont tout le palais retentissait, et une voix nous rappela les blessés. Il se fit un silence subit. Ces salles, où Lamartine s’efforçait, il y avait quelques de faire briller aux yeux du peuple toutes les lueurs trompeuses dont se colore l’aube des révolutions, étaient transformées en ambulances. Les échos qui avaient recueilli la parole dorée du sophiste recueillaient les plaintes des mourans. La révolution avait ses réalités hideuses ou elle avait eu ses brillans mensonges ; où s’étaient fait adorer les faux dieux, coulait le sang expiatoire des victimes.
Parmi les blessés de l’Hôtel-de-Ville ; il y eut un des plus nobles et