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de ce qu’il appelait leurs intrigues. Ses agens politiques s’efforçaient en vain d’attirer son intérêt sur leur cause ; le baron de Breteuil avait beau écrire au duc de Praslin : « Il est affreux de penser qu’une charge ou une terre donnée à l’un plutôt qu’à l’autre rend presque tous les Polonais également ennemis du bien général de leur pays et du salut de leur liberté. Je sens, monseigneur, tout ce qu’une pareille conduite a de dégoûtant pour les puissances qui s’intéressent à la conservation de cet état républicain ; mais plus je considère la Russie et l’ambition de celle qui la gouverne, plus je suis porté à penser qu’il est important d’avoir pitié de l’aveuglement des Polonais et de chercher à donner du ressort à l’engourdissement intéressé des nobles. C’est un travail pénible et dispendieux, mais il est de la dignité de la France de ne les point abandonner. » Le chef du cabinet de Versailles ne se rendait point à ces remontrances. Au lieu d’y avoir égard, il fit présenter au conseil, par M. de Praslin, un mémoire officiel sur la question. Dans cette pièce méditée avec labeur et méthodiquement rédigée, le ministre commence par établir que, « dépourvue de toute utilité commerciale la Pologne pouvait fonder uniquement sur des rapports politiques l’espoir et la prétention d’un appui. »

« Il fallait donc examiner si la France avait un intérêt politique à intervenir dans ses affaires. La distance seule suffirait pour autoriser en tout temps une réponse négative. Le système actuellement en vigueur l’a dictée plus impérieusement encore. Quel est, depuis le traité de Versailles, le pivot de la politique française ? L’Autriche. Ce qui fait contre-poids à cette puissance doit donc nous occuper exclusivement. Autrefois, cet équilibre était en Suède, maintenant en Prusse. L’affermissement de ce royaume ne peut pas nous faire ombrage. Il ne peut effrayer que la Russie ; intérêt qui, n’étant pas le nôtre, ne pourrait nous toucher directement que par une de ces combinaisons qui séduisent parce qu’elles ont l’air de la profondeur, subtilités tirées à la pointe de l’esprit, idées impraticables et excentriques[1]. »

« C’est à tort, ajoute le ministre, qu’on imagine un démembrement de la Pologne. L’intérêt des puissances dont elle peut craindre l’ambition semble la garantir de ce danger. En effet, ce royaume étant également limitrophe de la maison d’Autriche, du roi de Prusse, de la Russie et de l’empire ottoman, ces quatre puissances, qui se regardent réciproquement avec des yeux de jalousie et de rivalité, sont moins les ennemis de ce royaume que ses surveillans et ses défenseurs. Chacune d’elles a un intérêt direct et essentiel à le protéger, parce qu’elle aurait tout à craindre de celle qui se serait agrandie à ses dépens. La France peut donc s’en reposer sur ces quatre puissances du soin de veiller à la conservation intégrale de la Pologne, et le démembrement de ce royaume ne doit probablement arriver que par des événemens singuliers et après des guerres sanglantes auxquelles le roi peut se dispenser de prendre

  1. Expressions textuelles, ainsi que tout ce qui suit, dans le mémoire, lu au conseil le 8 mai 1763. — Archives des affaires étrangères de France.