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« Le quatrième porte à la fois, avec des perfidies et des ruses, un assortiment de séductions qui tiennent de tous les vices ; qui m’en achètera ? les femmes.

« Méchant, Dieu te maudisse ! reprit Sidna Chitann.

« — Que m’importe, si je gage ? répliqua Chitann.

« Le lendemain, Sidna-Aïssa, qui faisait sa prière au même endroit, fut mis en distraction par le jurement d’un ânier dont les quatre ânes, accablés sous la charge, refusaient la route. Il reconnut Chitann.

« — Dieu merci ! tu n’as rien vendu ? lui dit-il.

« — Seigneur, une heure après vous avoir quitté, tous mes paniers étaient à vide ; mais, comme toujours, j’ai eu des difficultés pour le paiement.

« Le sultan m’a fait payer par son khalifa, qui voulait tromper sur la somme ;

« Les savans disaient qu’ils étaient pauvres ;

« Les marchands et moi nous nous appelions voleurs ;

« Les femmes seules m’ont bien payé sans marchander.

« — Et cependant je vois que tes paniers sont pleins encore, objecta Sidna-Aïssa.

« — Ils sont pleins d’argent, et je le porte au kadi (à la justice), répondit Chitann en pressant ses ânes.

« O mes frères, ajoutait Sidi-Mohamed-ou-Allal, l’homme libre, s’il est cupide, est esclave ; l’esclave est libre, s’il vit de peu.

« Pour vous reposer, choisissez les tentes ; pour demeure dernière, les cimetières ; nourrissez-vous de ce que produit la terre ; désaltérez-vous à l’eau courante, et vous quitterez le monde en paix. »


La caravane arriva à Timi-Moun, après trois jours de marche. Dans le trajet, elle s’était arrêtée à un autre marabout, celui de Sidi-Mohamed-Moul-el-Gandouz, où l’on déposa, selon l’usage, l’offrande du voyageur. L’affamé trouve là sa nourriture, et nul n’y mange plus que sa faim, ou n’y boit plus que sa soif, car il périrait en route. Il n’y a pas de gardiens pour surveiller les provisions ; pourtant on ne cite pas d’exemples d’un indiscret ayant abusé de l’hospitalité de Dieu. « Et cela se passe au milieu du Sahara, loin des yeux des hommes ; mais Dieu est partout. »

À Timi-Moun, Cheggueun conduisit les voyageurs chez Sid-el-Adj-Mohamed-el-Mahadi. Ils lui firent les présens d’usage, attendant, selon ses conseils, la caravane de Tidi-Keult pour se rendre avec elle à Insalah. Le pays de Touat, que la caravane venait d’aborder au nord-est, est borné à l’ouest par le Maroc, et s’étend jusqu’au grand désert au sud. Le Djebel-Batten le borne sinueusement à l’est dans toute sa longueur. Le Touat est une vaste succession d’oasis entrecoupées de pleines sablonneuses ; on y compte, disent les Arabes, autant de villages que de jours dans l’année, et l’on y rencontre deux populations de races et de mœurs distinctes : les gens du Touat proprement dit, d’origine berbère, qui ont eu de nombreuses alliances avec les Nègres, habitent presque tous les villes et les bourgades ; les Arabes campent