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Nul impur voyageur du pied ne l’a terni.
À l’homme inférieur par momens invisible,
Ô région sereine où siège l’infini,
Ta cime aux passions demeure inaccessible.

C’est toujours l’Alpe vierge au front éblouissant,
Dont la chaste hauteur ne peut être abaissée,
Tabernacle où de Dieu réside la pensée.
Échelle de cristal par où l’esprit descend.

Oui, j’ai gardé ta neige en sa fierté suprême,
Oui, ton faîte est debout ! Je le dis humblement ;
Car j’en reviens toujours indigné de moi-même.
Quand mon cœur de là-haut se mesure un moment.

Et j’offre à cet autel splendide et vierge encore
Mon culte et le tribut de mes jours les meilleurs ;
Sa beauté luit en moi, mais elle vient d’ailleurs ;
En l’adorant, c’est vous, ô mon Dieu, que j’adore !

En vous est la hauteur de ce front radieux ;
En vous est sa blancheur où l’arc en ciel se joue :
Dans l’homme seul est l’ombre, en lui sont les bas lieux.
À vous la neige, à moi la poussière et la boue.

Si ce mont reste pur, c’est que vous l’habitez :
Toute virginité n’est que votre présence.
L’homme, s’il eût trouvé ces cimes sans défense,
Eût traîné là sa fange et ses obscurités.

À l’abri de moi-même, ô Père, et de la foule
Garde donc l’Alpe vierge où luit ton tribunal,
Ce sommet de mon cœur d’où ta grâce découle ;
Renforce chaque nuit son rempart glacial,

Pour qu’au-dessus toujours des lieux sombres, immondes.
Brille un degré du ciel que je puisse entrevoir.
Et qu’aux feux de midi ce divin réservoir
M’abreuve tout entier de ses fertiles ondes.

VICTOR DE LAPRADE.