refuser son admiration à la nature qui vous entoure ! Quel éclat, quelle exubérance dans la sauge resplendissante ! Les chemins en sont bordés, et jamais ses fleurs, d’un rouge éclatant, ne cessent d’éclore.
Mais pour trouver de l’enchantement à cette vie contemplation et rêveuse pour passer des heures entières en extase aux balancemens du palmiste sur l’escarpement des hauts remparts de basalte, il faut avoir rompu avec les vaines ambitions du siècle, ou bien, convalescent de rêves souffrances, s’abandonner aux délices de la vie luxuriante de la terre et s’enivrer du parfum des fleurs et des senteurs de la forêt. On peut jouir de ce monde qui vous enveloppe comme un charme sans être bien savant : les habitans du pays ont pour chaque plante un nom caractéristique ou pittoresque. Voilà le bois de ronde, qui brûle en torches ; le bois chandelle, dont les tiges sont arrondies et droites comme des bougies ; le bois de lacs, espèce légumineuse dont la racine sert à faire des rets ; le bois mahaut, dont les branches fournissent des bâtons droits et fermes d’une extrême légèreté ; le bois bombarde, naturellement creux, qu’on scie en blocs pour en faire des ruches ou bombardes dans le langage des créoles ; le bois de fer ; le bois maigre, qui n’est bon qu’à brûler. Puis voici le poc-poc, solanée dont le fruit jaune, rond et poli comme une boule d’ivoire, résonne enveloppé dans sa gousse plus transparente qu’une fine gaze ; enfin le chouchou, cucurbitacée qui grimpe au sommet des plus grands arbres, s’étend sur tous les plateaux, s’élance d’une rive à l’autre des ravins, et dont les feuilles, semblables à celles de l’aristoloche, couvrent d’immenses espaces et donnent à certaines parties de la forêt l’aspect d’un camp arabe semé de tentes.
Franchissez le torrent sur le pont si pittoresque de la Savane, ou même à pied, si vous ne craignez pas d’être emporté par une onde trop rapide ; allez jusqu’à la Mare à citron, autrefois vaste cratère de volcan, aujourd’hui bassin enchanteur rempli de la plus riche terre végétale. On aborde tout droit la montagne de Crève-cœur par un sentier raide à travers la forêt : on s’accroche aux racines, on s’appuie aux troncs des arbres, on s’aide du genou et des mains sur les pointes du rocher, on arrive hors d’haleine à la crête aigu, presque en lame de couteau, où l’on a ménagé une petite esplanade, espèce de balcon de montagne d’où l’on domine plusieurs creux vallons ; mais on est dédommagé de ces peines par les scènes des bois : sombres voûtes de verdure, clairières gracieuses où se jouent les rayons du soleil sur les feuilles luisantes des citronniers, ravins à pic, où les grands arbres sont accrochés et collés, pour ainsi dire, aux brisures des rochers ; puis les mille caprices des branches entrelacées, et les riches scolopendres qui tantôt s’enroulent en collerettes autour des troncs, tantôt s’échappent des embranchemens comme des plantes en lustres suspendus dans l’air, tantôt