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couronnent les troncs brisés, semblables aux plumes d’un chef de tribu sauvage ; puis les ruisseaux qui bondissent et murmurent, les cascades qui tombent d’aplomb ou glissent avec un frôlement léger sur les faces lisses des rocs, le roulement lointain du torrent qui remplit la forêt, les fougères répandues partout avec une prodigalité qui surprend, les mousses en fleur qui tapissent de leurs urnes, le sentier, la roche et les troncs vermoulus ; enfin, comme but de promenade, une belle magnanerie dont malheureusement les produits ne sont encore que des espérances ! On revient, fatigué, mais charmé, et, pendant le sommeil calme qui suit ces courses, on retrouve encore dans ses rêves ces fougères en consoles, en girandoles, en panaches, qui vous ont frappé comme une décoration de théâtre. Et maintenant qu’on se rappelle les étranges attaques sous lesquelles l’opposition d’alors fit tomber le projet de loi sur la déportation : quelle vanité que la politique !

Une population singulière habite quelques régions incultes de l’île et particulièrement la Plaine de Cilaos ; on la retrouve aussi éparse en familles sur les bords de la mer, et même au milieu des laves du Grand Brûlé. Elle vit en des cabanes ou des huttes dans un état à demi sauvage ; quelques-uns de ces malheureux n’ont même d’autre abri que des cavernes ou des anfractuosités de rochers. Ils cultivent ordinairement autour de leurs cases, un champ qu’ils ont défriché eux-mêmes assez grossièrement en mettant le feu à quelques portions de la forêt ; ils ne lui font guère rendre au-delà de ce qui suffit strictement à la subsistance de l’année, s’en remettant à la Providence du soin d’y pour voir quand les ouragans viennent ravager leurs moissons. Sur les hauts plateaux, ils sèment du maïs qui donne une récolte abondante, du mil, du blé et des pommes de terre ; dans les régions moyennes, ils plantent des patates douces dont on compte trois variétés excellentes, des chous qui viennent très bien et pommés, des giraumons, des citrouilles dont les larges feuilles s’étendent en parasol sur les pointes de rocher dont la terre est hérissée et le taro au riche feuillage qui fait à lui seul la décoration de la cabane. Au pied des troncs d’arbres brûlés, ils sèment des plantes grimpantes qui donnent aux débris de la forêt l’aspect de colonnes torses. C’est un spectacle curieux que ces défrichés vus au clair de la lune ; dans la lueur douteuse qui glisse et se, reflète à travers ces abattis recouverts de lianes, on se croirait au milieu des ruines de quelque ville antique, près des colonnades de Palmyre ou de Thèbes. Çà et là ils plantent un caféier près d’une fougère arborescente, dont la tête empanachée, à découpures délicates comme des plumes d’autruche, l’abrite des feux trop vifs du midi. Des pêchers sans culture forment aux alentours un bosquet naturel. Plus bas, dans les terres chaudes, ils cultivent des cannes à sucre, des ignames et des bananiers dont les régimes forment la base principale de leur nourriture ; c’est